Ukraine : Zelensky, la création du mythe du héros.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Un mois de guerre en Ukraine. La guerre n’en finit pas de finir. Nous croyions avoir vu l’impensable, les images et les échos de l’invasion russe nous glacent toujours de peur et de rage. La « guerre totale » russe n’épargne rien ; les chars d’assaut, les bombes, les missiles détruisent un pays « qui n’existe pas », dixit Poutine. Témoins du drame et saisis par un profond sentiment de culpabilité, nous comprenons que les enjeux de la guerre dépassent les frontières de l’Ukraine et restons dans la dramatique position de l’observateur désarmé.

Un drame donc se joue dont la fin n’est pas écrite et déjà dans la mêlée confuse émergent les deux personnages autour desquels se nouent la tragédie : le président ukrainien Zelensky et le président Poutine. Plus que deux hommes d’Etat se sont deux figures qui progressivement se dessinent : celle du héros et son double obscur, le côté sombre de la Force.

En m’appuyant sur les images créées par les street artistes et les illustrateurs, images véhiculées par les réseaux sociaux, mon objectif dans cet article est de suivre la formation de deux mythes, dont l’un celui du héros se fonde sur son exact contraire.

Le mythe du héros est consubstantiel à ma culture. Les demi-dieux et les héros de l’antiquité grecque et latine ont habité mes rêves d’enfant. Contes et légendes ont été complétés par une abondante littérature épique. Mes héros furent le divin Achille, Ulysse, David et tant d’autres. Des hommes conscients de leur finitude qui narguaient les dieux, s’affrontaient aux déchainements de la nature, se battaient contre de puissants adversaires. C’étaient des guerriers qui par leur courage, leur bravoure, triomphaient des formidables obstacles qui barraient leur chemin. Le sens même du mot « héros » a été associé pour moi à ces exemples. Les autres acceptions étaient des formes dévaluées de la première.

Mes héros fonctionnaient par couple. David et Goliath, Achille et les Troyens, Ulysse et Polyphème. Comme on le voit, la valeur du héros dépendait de celle de son adversaire. Plus ce qui s’oppose à la quête du héros est redoutable, plus l’héroïsme est grand. Une variante de la lutte éternelle du Bien contre le Mal. Du combat de Persée contre Méduse. Du combat fondateur de Saint-Michel contre le dragon. Les superhéros de la Marvel et de DC Comics sont des succédanés étatsuniens fort dégradés des demi-dieux mythologiques.

Aussi ce sont les figures du couple Zelensky/Poutine qui doivent être appréhendées ensemble pour saisir la signification de cette création.

Chacun sait aujourd’hui que Zelensky, avant d’être élu président de la république était comédien portant costume trois pièces, chemise blanche et cravate. Depuis l’invasion russe, il est montré en chef de guerre. Barbe de plusieurs semaines, tee-shirt, parka, gilet kaki. Sur les lignes de front, il porte un casque et un gilet pare-balles. Bref, le président est un soldat.

Zelensky, le président-simple soldat, le héros positif, combat l’ogre Poutine, le président de la deuxième puissance nucléaire mondiale, le président du plus grand pays du monde. Pour être reconnu comme un héros, il faut, nous l’avons vu, que son adversaire soit redoutable voire invincible. Les artistes pour représenter Poutine n’ont guère hésité à charger la barque. Qu’on en juge ! Il est présenté comme un tueur cruel, un terroriste, celui qui a tué la paix. De plus, il est insulté et ridiculisé. Comparé explicitement au diable, sa représentation est associée au sang. C’est un dictateur, comme Hitler et Staline, un dictateur qui est un nazi par une inversion des justifications de Poutine à l’invasion de l’Ukraine. Plus trivialement, c’est un déchet mal odorant (en jouant sur son nom en anglais : put in). Bref, une sinistre incarnation du Mal absolu.

Les artistes ont peint de superbes portraits de Zelensky. Le président est représenté de face, de trois-quarts, en couleurs, en noir et blanc, le plus souvent en bleu et jaune. Une affiche est un plagiat de l’affiche de Shepard Fairey représentant Obama. La comparaison est implicite. Par ailleurs, il incarne l’espoir, celui du peuple ukrainien qui depuis la Révolution orange veut rejoindre l’Occident et ses alliances.

De toutes les représentations, ce sont les portraits de Zelensky qui sont les plus fréquents. Ils sont devenus des signes identificatoires, des drapeaux, des symboles du peuple ukrainien uni.

En parallèle, des images construisent les bases de ce qui sera le roman national. Le soldat devient une figure majeure de la mythologie qui se crée. Il est représenté avec ses armes sortant des flammes du combat, fort, viril et protecteur. Les héros des légendes sont convoqués afin d’inscrire l’actuelle conflit dans l’histoire de l’Ukraine. Héros protecteurs et protégés par Dieu. C’est dire suffisamment clairement que la guerre des Ukrainiens est juste et qu’ils incarnent les forces du Bien. Les symboles saturent les représentations : le drapeau, les couleurs du drapeau, les fleurs des champs dans les cheveux des femmes, le blé des plaines, le culte marial, le trident.

Les images dessinent un récit : unis dans la lutte, les hommes et les femmes en armes, protégés par Dieu et la Vierge Marie vont sortir vainqueur de l’épreuve et poursuivent leur destin national.

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Bien sûr, les images que je reproduis sont des images de propagande. Mais la propagande en dit long des aspirations d’un peuple et du point de vue qu’il a sur le monde. Le commentaire des images dont le but est de soutenir l’effort de guerre des Ukrainiens et de faire pression sur les Occidentaux pour obtenir l’aide nécessaire à la résolution du conflit n’ont qu’un rapport indirect à la réalité. Cela ne veut pas dire que Zelensky n’est pas un homme exceptionnel dont chacun reconnait les vertus. Ni que Poutine soit ce qu’on en montre.

N'oublions pas que « le héros de Verdun », Philippe Pétain, a collaboré avec les Nazis. Que les figures de héros ont été construites après coup pour répondre à des objectifs politiques. Jeanne d’Arc n’a pas commandé les armées françaises pour bouter hors du sol national l’Anglais. Charles Martel n’a pas arrêté les Arabes à Poitiers. Les exemples abondent. Je vous en fais grâce. Soyons circonspect et « laissons du temps au temps ».

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