Un graffito, des graffiti. Les supports.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Un crew a, pour peindre, besoin de supports à sa peinture et ces supports sont le plus souvent des murs (les « roulants » -les trains, les métros, les bus etc.- sont des supports recherchés par ailleurs). La hiérarchisation des supports est assez complexe pour le commun des mortels. Taguer un « roulant » est d’abord un défi car il faut pénétrer dans les garages surveillés par des vigiles, des caméras, des chiens. En fonction du risque, les roulants sont classés. En bas du classement, les « proies » faciles (les camions garés la nuit dans une rue par exemple). En milieu de classement, les « cibles » surveillées telles que les trains de marchandise, les métros). Le graal est de graffer un train prestigieux comme l’Eurostar ou le Thalys. Les « roulants » permettent de faire voyager gratos son blaze ou son graff. En mixant les deux critères, un graffeur peut se faire une belle réputation en taguant un train en Russie, par exemple. Le dernier critère, et ce n’est pas le moins important est la qualité du graff. Bref, en croisant tout cela il est aisé de comprendre que peindre un superbe graff sur un « grand train » dans un pays où cet exercice est très sévèrement puni est le couronnement d’une carrière ! Une sorte d’apothéose. Un Austerlitz. Inutile d’ajouter que les terrains de jeu sont nombreux : le monde de manque pas de régimes autoritaires et de dictatures !

Quant aux murs, leur « valeur » dépend, en partie, de leur niveau de visibilité. Cela combine deux facteurs qui n’en font qu’un : son emplacement et sa surface. Les street artists peignent pour que leurs tags, leurs graffs, leurs fresques, soient vus et reconnus par le plus grand nombre possible de personnes. Cette assertion, qui semble une évidence, sans être fausse n’est pas vraiment vraie ! La réalité est que les graffeurs veulent être vus par d’autres graffeurs, d’autres crews. Les graffeurs d’un territoire donné connaissent l’ensemble des murs et à qui ils « appartiennent ». Ces murs sont observés pour voir si les graffs ont été toyés ou si d’autres crews ont recouvert les œuvres. Ce qui est représenté est directement destiné aux graffeurs des autres crews. De la même manière, le lettrage est un exercice de style dont les performances sont classées, du plus simple au plus complexe. Il en est de même des personnages. Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir le long des routes par exemple, des graffs qui pour le commun des mortels n’ont pas de sens. Ils sont tous formés sur le modèle étatsunien de trois lettres et la sophistication du lettrage est telle qu’elle ne permet pas d’identifier les lettres. Les graffeurs des territoires voisins reconnaissent le nom du crew et son inscription a deux sens : soit le crew est passé par là et marque son passage et de facto son existence, soit c’est une revendication de la propriété du mur sur lequel est peint le graff. En résumé, les milliers de graffs ne sont pas « reconnus » par les badauds pour la simple raison qu’ils ne leur sont pas destinés. Ils participent au « game » dont ils ne constituent qu’une partie.

Aux murs s’appliquent également le critère du danger potentiel. Plus les murs sont interdits, plus ils sont « chers ». Ainsi, les murs intramuros sont plus chers que les murs de banlieue. Par ailleurs, des murs n’intéressent pas les graffeurs. Ce sont les murs des quartiers chics dans lesquels leurs œuvres ne seraient pas vus par des graffeurs d’autres crews. Un mur dans le très huppé 16e arrondissement, même bien placé, même de grande surface, ne vaut pas un coup de cidre !

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De digressions en digressions se dessinent une géographie du graffiti. Mettons de côté les roulants dont nous avons examiné l’intérêt, les murs recherchés par les crews sont bien situés, c’est-à-dire, dans des quartiers populaires ; les quartiers dans lesquels se sont formés les crews.

Le game entre les crews a des règles non écrites connues des seuls graffeurs. Les passants ne font partie du jeu. Ils sont comme le cœur antique, témoins de l’action, sans en être ni les partenaires, ni les enjeux.

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