Une visite d’atelier d’artiste : l’atelier de Bisk.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Une toile récente de grande dimension accumulant les graphies du blaze et les "objets". Toutes les photographies sont de l'auteur.

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Lecture 9 min.

 

Le temps est venu, enfin, de dépoussiérer vos idées reçues sur les ateliers d’artistes ! Ils ne ressemblent guère aux soupentes éclairées par une lucarne distillant parcimonieusement quelques rais de lumière, pas davantage aux ateliers rupins avec estrade pour faire poser les modèles sous une élégante verrière, ateliers richement décorés des œuvres du maître, de copies en plâtre d’antiques, chauffés par un vieux poêle à bois.

Les « peintres de chevalet » sont devenus des plasticiens. Et nos plasticiens ont besoin d’espace et souvent de compagnie.

Occuper à plusieurs de grands espaces est tendance. A la fière et altière solitude des artistes-peintres des siècles passés succèdent des communautés d’artistes. C’est bien pour payer le loyer. C’est jugé par beaucoup nécessaire pour confronter les idées et les expériences.

Il est vrai que les besoins ont radicalement changé ; la recherche du silence qui favorise la concentration sur l’exécution de l’œuvre est souvent remplacée par des collectifs d’artistes qui vivent et travaillent de concert. Les ateliers deviennent pour les street artistes des lieux de vie et de production qui privilégient l’échange et la solidarité sur l’isolement. C’est bien sûr une affaire personnelle, mais le prix des loyers et une idée neuve de la création artistique qui s’enrichit des contacts entre les artistes, amènent une génération de jeunes plasticiens vers des ateliers différents fonctionnant comme des phalanstères.

On voit bien que visiter un atelier d’artiste ne se borne pas à la découverte d’un espace de travail. Le choix du lieu et le lieu même nous disent des choses intéressantes sur d’autres choix qui sont politiques et sociétaux.

C’est la raison qui m’amène à vous proposer dans ce billet une visite d’atelier, celui d’un plasticien touche- à- tout de talent, Bisk.

Ma discrétion naturelle, fruit d’une éducation sévère, m’impose une prudente réserve sur le lieu. Je peux vous dire, mais c’est un secret, que c’est près de Paris, dans un immense bâtiment désaffecté, quelque peu délabré, dans une zone quasi interdite, disons, très surveillée.

Maintenant que vous situez le lieu avec une précision suffisante, venons-en au bâtiment : plusieurs niveaux, des centaines de mètres carrés, un grenier qui n’a jamais vu un grain de blé. Un lieu géant et isolé de tout (pour vous dire, pour boire une bière, le rade le plus proche est à 10 minutes de voiture !). Un genre de bout du monde, où l’espace n’est pas compté, où le sculpteur peut faire le bruit qu’il veut et les peintres prendre leurs aises.

C’est ce qu’a fait Bisk. Il s’est octroyé des locaux sur les 3 niveaux et partagent l’accès à de véritables ateliers équipés de machines carrément professionnelles pour travailler de nombreux matériaux.

Dans le fond d’une salle grande comme un terrain de football, Bisk travaille sur ses toiles de grandes dimensions. Vous n’y trouverez pas la fameuse palette de l’artiste-peintre, les bocaux pleins de pinceaux, etc., car le matériel d’un street artist est, nécessité fait loi, aisément transportable : des bombes aérosols, des feutres, éventuellement, pinceaux, brosses, rouleaux. Un matos qui tient dans un grand sac de sport, pour rapidement effectuer un repli tactique quand arrive la maison Poulagas, pour aller d’un local à un autre, d’un spot à un autre. Une contrainte forte quand même, il faut de la lumière et il reste vrai que la lumière du jour est préférable. Elle se diffuse dans l’espace du local, ne dénature pas les couleurs. Bref, espace et lumière, pour le reste, on fait avec !

Partant du premier niveau du local, j’ai le sentiment que je remonte le temps : celui de la carrière de Bisk. La grande salle donne un bon exemple de son travail actuel. Des toiles de dimensions variables qui illustrent sa manière actuelle de peindre. Une accumulation de formes et de couleurs ponctuée par le graff de son blaze en jouant sur différents lettrages. Dans les couloirs, Bisk a accroché des ready-made. Bien que fort variés, ils sont composés de matériaux récupérés accumulés structurés par une composition savante qui privilégie au volume un espace en deux dimensions. Ces œuvres comme les toiles récentes de l’artiste sont fondées sur l’intérêt plastique des accumulations d’objets. Se mêlent deux concepts : celui de la collection et celui de l’insolite.

En pénétrant dans d’autres pièces, on remonte dans le temps. Les toiles toujours abstraites, traduisent diverses influences ; celle de Miro, en particulier. Les œuvres dessinées se caractérisent par le dynamisme du trait et la recherche de l’épure. Somme toute, les œuvres anciennes sont les témoins d’un itinéraire, partant de l‘absolu nécessité de la copie, en passant par le vertige du trait libéré de la contrainte de la représentation, par l’essai de nouveaux supports, de nouvelles palettes de couleurs.

En voyant ces œuvres anciennes, je pensais à ce musée allemand qui exposait dans un bocal de formol le cerveau d’Einstein enfant ! L’illusion de remonter vers le point de départ, un peu comme le saumon le cours de la rivière (ça c’est pour les amateurs de métaphores saugrenues). Sauf que, notre remontée vers l’amont de l’expérience artistique de Bisk n’a rien de linéaire. Des œuvres graphiques, dépouillées, sont parfois contemporaines d’autres œuvres, non seulement différentes, mais prenant le contrepied des œuvres susnommées. La construction d’une œuvre n’a décidément rien à voir avec la géométrie. Il y a des pas, en avant, en arrière, sur le côté, ailleurs. Ce n’est que rétrospectivement que des esprits forts fabriquent de toute pièce une logique de la création des œuvres. En partant de la fin, en occultant les œuvres qui ne rentrent pas dans la logique développée du « concept structurant », des historiens de l’art, des critiques, veulent à toute force donner de la cohérence à la production des œuvres. Construction intellectuelle qui renseigne davantage sur leurs auteurs que sur l’artiste. De plus, le fait que nous acceptions ces analyses montre l’extrême difficulté que nous avons à penser le complexe. C’est ignorer ce qui est pour moi capital, une œuvre est le parcours unique d’un artiste qui avance dans la nuit, sans lampe de poche, et sans savoir où il va.

Sous le toit du bâtiment, un grenier aussi vaste que le bâtiment : des centaines de mètres carrés. Contrairement aux autres lieux de l’atelier, ce n’est pas un lieu de travail et d’exposition. Trop dangereux pour les visiteurs de monter un escalier de meunier et une échelle branlante ! Ce n’est même pas un lieu de stockage. C’est plutôt un lieu de « relégation » des œuvres ; des essais (et donc des erreurs !), des toiles inachevées, des sculptures en bois, en métal. Nous sommes dans un espace sombre dans lequel reposent des œuvres. Genre cimetière : les œuvres reposent en paix. Dans le désordre, elles gardent encore des traces de leur vie antérieure. Peut-être se souviennent-elles d’avoir été à la pointe de la recherche de l’artiste, d’avoir été un temps le graal enfin trouvé.

Après avoir suivi Bisk dans les coins et recoins de son atelier (je voulais tout voir et Bisk voulait tout me monter), j’ai le sentiment d’être entré dans l’intimité de l’artiste. Le secret de son parcours fait de tours et détours, une compréhension de son imaginaire, une intelligence de sa peinture.

L’atelier parle de l’artiste et de son œuvre comme la maison de Victor Hugo parle du bonhomme et de ses choix esthétiques. Sa visite peut être une promenade, pourquoi pas, ou une tentative (toujours vaine !) de compréhension de la fabrication de ce qu’il convient de nommer une œuvre.

L'atelier du premier niveau.

Toile récente.

Toiles de différentes périodes.

Toile déclinant d'autres harmonies chromatiques.

Ready-made.

Ready-made.

Ready-made.

Toile en cours d'exécution dans un atelier annexe au deuxième niveau de l'atelier.

Toile récente, illustrant la manière de peindre de Bisk aujourd'hui.

Dessin à l'encre de Chine.

Peinture sur carton fort.

Peinture sur carton fort.

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Le grenier.

Bisk posant devant son blaze gravé.

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