Vhils, dernières séances.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Comment aborder le travail d’Alexandre Farto aka Vhils ? L’angle biographique, toujours tentant, fournit quelque éclairage sur un projet artistique qui ne se laisse pas lire aisément.

Alexandre Farto, né en 1987, dès le début des années 2000, fait son apprentissage de street artist en herbe dans la banlieue sud de Lisbonne, à Seixal, en taguant les murs en déshérence. Il passe par la case « graffiti » avant de faire des études de graphisme et d’animation. En 2007, il s’installe à Londres et étudie les Beaux-Arts à la Central Saint Martins College of Art and Design.

Bref, l’itinéraire d’un gamin qui découvre avec ses potes le street art sur les murs pourris de sa banlieue et qui apprend le métier d’artiste de manière conventionnelle. Gardons en mémoire le militantisme de son père, son engagement politique, dans le contexte d’un Portugal enfin débarrassé du joug de Salazar par la Révolution des Œillets de 1974.

Signalons aux exégètes de l’œuvre de Vhils, mes frères en écriture, que le Lisbonne d’après le coup d’Etat des militaires n’a que peu de choses à voir avec le Berlin de la chute du 3ème Reich. Les murs ruinés de la capitale portugaise au début du 21ème sont la conséquence des transformations urbaines de la conurbation, en particulier, la gentrification des quartiers populaires qui a provoqué la destruction des immeubles anciens habités par des classes populaires, rejetées comme ailleurs, vers les périphéries.

Ces murs, vestiges provisoires d’un libéralisme triomphant, ont été l’environnement dans lequel s’est développée l’expérience plastique de Vhils. Un contexte traversé par la compréhension des forces qui étaient à l’œuvre.

Bien que le travail de création de Vhils soit pluriel, des constantes existent. Si les supports sont différents, le béton des murs, le cuivre, le polystyrène, Vhils, contrairement aux street artists qui apportent de la matière, des couches de peinture, « supprime » de la matière. Ce qu’il apporte, c’est le manque, la lacune.

Les techniques qu’ils utilisent dépendent des supports à « creuser ». Le premier temps est une peinture au pochoir sur le support. Un pochoir simplissime réalisé avec un logiciel de traitement d’image ne gardant de la photographe originelle que deux couleurs. Le pochoir n’est formé que d’une « couche », un « layer ». Vhils peint sur le support choisi en s’aidant de son layer. Au lieu d’apporter de la couleur dans les vides, il creuse des lacunes, plus ou moins profondes, avec des outils divers (burin, cutter, marteau-piqueur etc.)

 

Ses choix techniques sont partie prenante de sa démarche : il crée du vide. C’est la lumière, qui en fonction de son intensité, de sa direction, de sa couleur, va donner « vie » à son œuvre. On serait tenté de dire, et d’écrire, qu’il sculpte le mur. Résistons à la tentation car son travail est différent ; il ne crée pas du volume, il troue les matériaux d’une surface pour générer grâce à la lumière des zones d’ombre et des zones éclairées. L’ensemble de ces zones crée une image. S’il fallait absolument trouver un élément de comparaison, nous pourrions dire que son travail s’apparente à celui du graveur.

Que représentent ces œuvres ? Toujours la même chose : des portraits. Mais des portraits particuliers. D’abord, ce sont le plus souvent des portraits d’inconnus, d’anonymes, saisis en gros plan (le plan se réduit à un focus sur le visage excluant tout autre élément -le cou, les épaules, le décor-) Des portraits de très grandes dimensions, « sculptés » sur des murs ruinés.

Quelle signification donner à ses œuvres ? Vhils nous donne une clé. Dans une interview filmée, il cite cette phrase de l’écrivain portugais José Saramago : « Le chaos est un ordre à déchiffrer ». Le chaos de la matière du support est illisible sans l’intervention de l’artiste. C’est lui qui fait apparaitre ce qui était caché, comme en gestation. L’artiste comme les photographes de la pellicule révèle l’image. Le parallèle avec le photographe est parlant. Vhils comme lui, avec ses produits chimiques, enlève de la matière pour donner naissance à une image, à une œuvre d’art. De l’inorganisation nait l’ordre. L’image est l’ordonnancement du chaos.

Difficile de ne pas penser aux cosmogonies qui apportent des réponses à cette éternelle et universelle question : comment le monde a-t-il pu naitre du chaos des origines ? Il est certain que Vhils ne se prend pas pour le Créateur. Sa conception n’est pas une doxa religieuse mais une réflexion philosophique qu’il poursuit d’où il est : de son statut d’artiste.

Je trouve poétique, sinon philosophique, de penser que l’être d’une création est le résultat d’une soustraction au Réel. Autrement dit, c’est en réduisant la matière que l’Homme vainc le chaos.

Reste à rassembler les membres disloqués d’Osiris ! Vhils sur des murs lépreux donne une existence à des hommes et des femmes qui ont habité ces maisons aujourd’hui détruites. La lumière éclaire et ressuscite les images de ceux qui ont été chassés de ces lieux mais qui continuent à les hanter. Les murs, comme une pellicule photographique, gardent secrètement le souvenir de ceux qui les ont aimés. Les visages semblent suinter des murs voués à la disparition avant de disparaître dans un nouveau chaos qui détruit l’ordre ancien. Vhils sort du chaos des pierres, pour un bref moment dans le long terme du temps qui passe, des visages, avant de disparaitre pour l’éternité.

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L’œuvre est un nouvel ordre issu du chaos (chaos des pierres, chaos de la société qui brise les faibles etc.), un ordre provisoire. Avant un autre chaos. Ainsi, va la vie. Selon Vhils.

L’œuvre de Vhils, unique, est la confluence d’une réflexion sur la Création, le temps qui passe, le pouvoir qui provoque le chaos. Vhils n’est pas un pur esprit ; il inscrit sa réflexion d’artiste plasticien dans un contexte social et politique. Une œuvre forte et unique.

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