Vie et mort d’un spot de street art, la rue Dénoyez, Paris, novembre 2016.

Street/Art

Par | Penseur libre |
le

Les engins de chantier détruisent une partie des maisons vétustes de la rue.

commentaires 0 Partager
Lecture 4 min.

 

La rue Dénoyez est située dans le quartier de Belleville, entre la rue de Belleville et la rue Ramponneau, à quelques encablures du métro Belleville. C’est dire si nous sommes dans le cœur du Belleville historique, entre deux arrondissements frondeurs, le 20ème et le 19ème arrondissement de Paris. Un quartier qui malgré les mitages de quelques résidences de standing reste encore un quartier populaire, partagé entre communauté chinoise, populations de Maghreb et Français de condition modeste.

La rue Dénoyez depuis plus d’une décennie est un des spots les plus vivants du street art parisien. Plusieurs raisons à cela : dans cette rue sont implantés plusieurs ateliers de pratiques artistiques, deux longs murs de part et d’autre de la rue offraient des supports à l’expression des street artists, la tolérance de la Mairie de Paris qui a laissé se développer une création spontanée.

Beaucoup d’artistes qui sont aujourd’hui connus et reconnus ont peint des fresques dans cette rue peu passante qui avait un quasi statut  de voie piétonne. Tout un chacun pouvait y taguer, peindre son blaze ou une fresque. Des street artists étrangers y venaient souvent pour faire cadeau à Paris d’une « œuvre ». Ici, pas d’œuvres de commande. Peint qui veut, ce qu’il peut, où il veut. La liberté y a été reine. Liberté de peindre avec application et patience de remarquables fresques recouvertes le lendemain. Les œuvres avaient une vie courte dans cette galerie en plein air : tous acceptaient cette règle non écrite. La rue était un lieu d’expression et de rencontres. Les badauds et les touristes venaient y faire un tour ; il y avait toujours quelque chose de nouveau à voir et parfois, au milieu de l’anarchie et du mélange hétéroclite des pochoirs, des affiches collées, des fresques, une œuvre émergeait, retenait le regard et vous invitait à découvrir le travail d’un authentique artiste. Rencontres avec des œuvres, rencontres aussi avec des artistes au travail. L’atmosphère y était bon enfant ; les street artists y laissaient une trace et un témoignage, les amateurs regardaient les artistes, les photographiaient, entamaient une conversation. La rue avait ses habitués, son petit monde régit par une absence de lois, par une grande convivialité entre les artistes, les artistes et la population du quartier, les artistes et les passants. Un espace libertaire ouvert à tous, partie prenante d’une culture underground, tendance hip-hop. Il y avait certes des artistes, c’étaient à coup sûr les moins nombreux,  et également des « petits gars » de banlieue qui venaient faire étalage de leurs « talents », des « pointures » qui renvoyaient l’ascenseur, des jeunes artistes qui voulaient se faire un nom dans le monde du street art, d’autres à la recherche d’une galerie ou d’une commande. La rue Dénoyez était tout cela à la fois, lieu d’une expression  vraiment libre, vitrine, lieu de vie, et « place to be ».

La mairie du 20ème arrondissement a commencé à raser les immeubles décatis et insalubres par construire des équipements sociaux. Une crèche et des logements sociaux dit-on. Qui oserait s’opposer à la mise en œuvre d’un tel projet ? Le spot de street art l’est devenu parce que c’était une pauvre rue, ou une rue de pauvres comme on voudra, avec des murs en déshérence, voués à la destruction. Son destin était inscrit dans son acte de naissance. Elle a eu le sort des œuvres de street art, éphémères et donc…essentielles.

Sur la rue Dénoyez a flotté le drapeau noir de la Liberté. Elle a eu une belle mort, tuée pour la bonne cause. Restera la nostalgie.

 

 

 

Les murs extérieurs étaient recouverts de tags et de fresques mais également l'intérieur des appartements squattés par les "artistes".

Photographie prise en 2014. Des anonymes construisaient dans les trous des murs des "trésors".

Fresque peinte par un artiste cubain empruntant un thème fréquent dans l'art traditionnel mexicain,un crâne.

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

Photographie prise en novembre 2016. Pendant la destruction d'une partie des immeubles, des passants fabriquent avec des objets de récupération des "œuvres". La rue refuse de mourir.

Photographie prise par l'auteur en octobre 2016. Les objets les plus divers voués à la destruction sont utilisés, y compris les décorations chinoises.

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte