La justice sarkophage

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Au volant, non, ce n’est plus le chauffeur de l’Elysée. ©Lenouvelliste.ch

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Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles, allez. Un exemple : l’inculpation de Nicolas Sarkozy. Non, n’allez pas croire que par un réflexe gauchiste primaire, je puisse me réjouir gratuitement de voir se viander un réac déguisé en progressiste : ça n’apporte rien à la cause.

Quoique. La chute de la Maison Sarko propose un épilogue certes navrant, mais hautement moral, à un pan de l’histoire de France – et, partant, européenne – à laquelle les générations futures n’auront guère de remerciements à adresser. Avant toute chose, comme je connais mes classiques, je respecte la présomption d’innocence qui bénéficie au coupable, pardon à l’inculpé, pardon au mis en examen, jusqu’à un éventuel (mais très probable) jugement. Ce couplet étant chanté, que peut-on reprocher à Sarkoléon et à son quinquennat ? Bien des choses, le champ des possibles est assez large. Mais essentiellement, c’est d’avoir dévoyé la fonction présidentielle en la faisant basculer dans une voyoucratie revendiquée, où l’injure, la vulgarité de langage et le mépris des autres sont devenus la grammaire ayant cours à la cour de la République. Et c’est un punk qui vous le dit.

Le bling bling des menottes plus proche que celui des Rolex

Le dîner au Fouquet’s, le voyage sur le yacht d’un milliardaire à peine l’élection entérinée, le funeste et lamentable «cass’-toi pôv’ con» lancé à un quidam au Salon de l’Agriculture ont été quelques-uns des signes extérieurs de cette dérive vulgaire. Lorsqu’un personnage censé incarner les valeurs dans lesquelles se reconnaît un pays, un peuple, une nation, s’abaisse à un tel mépris de ses concitoyens, c’est tout le pilier de l’Etat qui s’en trouve fragilisé. Avec un tel exemple au sommet de la pyramide du pouvoir, comment voulez-vous que des parents, des enseignants, des éducateurs, puissent inculquer des valeurs de civisme et de respect à une jeunesse déjà déboussolée ?  Il est bien tentant, dans les banlieues où l’on joue sa survie au quotidien, de justifier des comportements agressifs, méprisants et un « bling bling » de façade dès lors que l’exemple en est donné par un chef même de l’Etat qui se croit tout permis.

Tout se permettre, Sarkozy ne s’en est pas privé. Les journalistes Mélanie Delattre (économie, Le Point) et Emmanuel Levy (économie, Marianne), ont publié, en 2012, un ouvrage dans lequel ils estiment que son quinquennat avait coûté à la France la bagatelle de 500 milliards d’euros.[1]

En classe affaires

Il a été mouillé mais jamais coulé dans plusieurs affaires louches : l’affaire des frégates d'Arabie saoudite et des sous-marins du Pakistan (financement occulte de campagne électorale, déjà), l’affaire des frégates de Taïwan, l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie, l’affaire des sondages de l'Élysée (marchés conclus entre l'Élysée et neuf instituts de sondage, pour d'éventuels faits de favoritisme, détournement de fonds publics, complicité et recel de ces délits), l’affaire Bygmalion, l’affaire Paul Bismuth (écoutes téléphoniques illégales avec falsification d’identité), l’affaire Woerth-Bettencourt (dans laquelle il a obtenu un non-lieu)… Il fallait bien que l’une d’elles le rattrape : ce sera l’affaire des fonds occultes versés par Kadhafi pour sa campagne électorale gagnante de 2007, pour laquelle il est aujourd’hui « mis en examen » (inculpé).

A chaque fois, sa défense est la même : c’est un complot, un assassinat politique, une infamie («David Pujadas, vous n’avez pas honte ?»). La victimisation, voilà un autre exemple tristement navrant de comportement offert par Sarko à ses contemporains. C’est la négation même d’une vertu essentielle au progrès : la remise en question.

Victime, quelle est ta victoire ?

Erigée au rang de stratégie de communication, voire de stratégie politique, la victimisation équivaut à décider que la vérité n’existe pas.  Se déclarer victime d’un complot, d’une machination, d’une malveillance organisée, revient souvent à nier l’évidence jusqu’à publication de la preuve, ce qui permet de noyer un temps le poisson et de discréditer les «accusateurs». C’est une méthode de déresponsabilisation, qui produit des effets désastreux, par la force de l’exemple, auprès des jeunes générations. Se victimiser, c’est refuser le débat, c’est estomper la notion de bien et de mal en faisant de ses contradicteurs des bourreaux, des lâches. C’est aussi, et surtout, un moyen facile d’échapper à la critique en discréditant l’autre. L’exemple produit par cette attitude sur le public – les jeunes surtout - est celui de la déresponsabilisation («je suis victime, donc ce n’est pas ma faute»), de la justification de l’échec («si on ne m’avait pas mis les bâtons dans les roues») et de l’hypocrisie («on a déformé mes propos»). Dès lors que des personnages publics se livrent à ce petit jeu indigne – ce qu’ils font systématiquement quand ils ont des emmerdes-, comment s’étonner que les anonymes, innombrables, qui y assistent n’assument pas leurs erreurs, ne se remettent pas en question et, par conséquent, n’évoluent plus ?

L’étoffe des zéros

Un verdict de culpabilité rendu à l’égard de Nicolas Sarkozy serait finalement une excellente nouvelle pour la société. Cela ne suffira sans doute pas à endiguer la vague d’égocentrisme, de repli sur soi, de rugosité sociale élevée au rang de vertu cardinale, que nous connaissons actuellement. Mais l’exemple de la débâcle d’un de ses plus ardents promoteurs pourrait témoigner qu’au bout du compte, le chemin n’est pas aussi tranquille qu’il n’y paraît.

Rien que pour ça, encore bravo, et merci.

 

 

 

 

 

 

 

 
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[1] Un quinquennat à 500 milliards d'euros, Editions de Minuit.

 

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