Vert j’espère, mieux je veux

Journaliste punk

Par | Journaliste |
le

Rien qu'en chlouquant Alpro, tu sauves les baleines et les grands singes.

commentaires 0 Partager
Lecture 6 min.

Tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles. Ah, vous êtes inquiet des niveaux d’émissions de CO2, parce que vous craignez pour "la planète" et les générations futures? Vous qui avez fait des sacrifices pour diminuer votre empreinte carbone? Autant vous le dire en face :  vous n’allez pas aimer ce qui suit.

Avant tout, finissons-en avec "la planète". Les dérèglements divers, les catastrophes variées, les désastres annoncés ne menacent pas la planète, chers lecteurs. IIs menacent ses habitants : humains, animaux, végétaux… La planète, même blessée, s’en tirera toujours bien sans nous. Pas un jour sans qu’on entende "c’est bon pour la planète", décliné sur tous les tons, mais ne nous y trompons pas : parler de la planète, c’est placardiser le problème. Il est quand même plus bankable de retourner le danger vers notre bonne vieille Terre, que de dire froidement au public "nous allons tous crever". La planète, personne ne sait qui c’est, et c’est bien pratique. En fait, ce sont les autres. Quels autres ? On ne sait pas. C’est ça la planète : son nom est personne. Quand les fleuves débordent en emportant tout sur leur passage, ils retournent ensuite sagement dans leur lit, laissant apparaître toute la souffrance humaine. Ainsi la planète reprend-elle le cours de son immuable éternité. Alors, ne dites plus "c’est bon pour la planète. Dites plutôt: "c’est bon pour nos enfants".

Croître ou ne pas croître

Ce préambule étant posé, passons à l’essentiel. La croissance des émissions de CO2 est… insoutenable, nous apprend le site Reporterre.net. Le 2 mars, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a, en effet, dévoilé les chiffres des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) attribuables à la consommation d’énergie. Et ce n’est pas triste : "Elles ont augmenté de 321 millions de tonnes en 2022, soit une hausse de 0,9 % par rapport à 2021. Au total 36,8 gigatonnes ont été émises : un nouveau record historique".

Vous pourriez penser : "C’était bien la peine"! Ou bien, "0,9 c’est pas beaucoup". Peut-être avez-vous cru que tout le monde faisait des efforts comme vous? Grands naïfs, va! C’est vrai que si l’on se fiait aux publicités des multinationales, les émissions de GES devraient dégringoler vertigineusement. Or, il n’en est rien. Et, chose curieuse, les experts s’attendaient à pire : «Le risque d’une croissance débridée des émissions, en raison du recours accru au charbon dans le contexte de crise énergétique, ne s’est pas matérialisé, souligne l’AIE dans son analyse des données. L’essor des énergies solaire et éolienne, des voitures électriques, de l’efficacité énergétique et d’autres facteurs [ont] freiné la montée du CO2». En clair, le lâchage de 550 millions de tonnes supplémentaires aurait été évité.

Serait-ce possible alors?

Dans la course à la réduction des émissions, l’Asie (hors-Chine) est le cancre du monde, avec une augmentation de 4,2 % des GES. En comparaison, l’Union européenne s’enorgueillit d’une réduction de 2,5 %. Mais ne pavoisons pas: les Européens importent une énorme quantité de marchandises produites sur le continent asiatique. En toute logique, l’empreinte carbone de ces produits devrait être imputée à l’Europe. Or, ce n’est pas le cas. Peut-on alors penser qu’une fois encore, l’Europe se donne le beau rôle, celui du bon professeur qui se permet de faire la leçon aux autres membres de la "communauté internationale" (et qui ne s’en prive pas)?

Le patron de l’AIE, Fatih Birol, qui n’a peur de rien, lance un appel à la bonne conscience des compagnies du secteur des énergies fossiles. Elles "engrangent des revenus record et doivent prendre leur part de responsabilité, en cohérence avec leurs engagements publics à l’égard du climat". C’est comme si c’était fait. On peut d’ailleurs mentionner que les émissions liées au pétrole ont augmenté de 2,5%, pour moitié en raison de la reprise du trafic aérien après la pause covid.

Idée H et Prix N

Alors, devant ces constats désespérants, n’allez pas choisir de relâcher vos efforts en faveur du climat. Il n’est pas interdit de penser qu’un jour, quelqu’un aura le courage d’obliger les entreprises polluantes à se conformer à ce que promettent leurs publicités verdâtres. Je suggérais déjà, en 2006, dans mon ouvrage "2050, Odyssée de la Terre" édité par Le Soir, que la performance environnementale et sociale des entreprises cotées en Bourse soit prise en compte dans le calcul de la valeur de l’action. Alors qu’aujourd’hui, celle-ci se base sur la seule performance financière. L’idée est que les deux valeurs se conjuguent, ce qui devrait logiquement inciter les entreprises à soigner aussi ce résultat-là, sous peine de voir diminuer dramatiquement leur valeur boursière. Utopie? Pas du tout. Un modèle dont on pourrait s’inspirer existe déjà au niveau des pays et s’appelle "Indice du développement humain" (IDH). Créé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1990, l’IDH a pour objectif l’évaluation du niveau de développement humain des pays du monde. Il a été développé par l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq et l’économiste indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998. "De par sa nature composite, cet indice donne une idée plus pertinente du développement humain que celle qu’amène le PIB par habitant, qui n’englobe pas le concept de bien-être."[1] Alors, pourquoi ne pourrait-on pas adapter ce modèle à la valeur boursière des entreprises? Bien sûr, il va falloir convaincre des patrons et des actionnaires pour qui la valeur humaine n’est qu’une vaste blague portée par des zadistes ou des hippies rendus à l’état sauvage. En gros, il sera nécessaire, face à une telle condescendance, de leur forcer la main, ce qui pourra s’envisager dès qu’un élu courageux se décidera à se mettre le monde économique à dos pour toujours. Tant pis pour la partie de golf et le Forum de Davos. Mais quelle gloire populaire ! Être le Che Guevara de la nouvelle économie solidaire, qui n’en rêverait pas?[2] Avoir sa tronche floquée sur des t-shirts? Haranguer les foules de prolétaires à la Fête de l’Huma? Entrer dans le Petit Larousse et les livres d’histoire?

Souvenons-nous: "Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer". Ces mots, c’était la devise de Guillaume d’Orange. Elle reste d’une brûlante actualité.

 

 
Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

[1][1] Source : Université de Genève, 2011

[2] Nous savons pertinemment bien que la plupart des élus ne se sentent pas l’âme d’un révolutionnaire et se liquéfient dès qu’on touche au monde économique. Mais on peut rêver, non ?

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte