Climat : pauvres de nous !

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Eh Madame! Vos papiers dans la poubelle JAUNE! Photo © LP/ ARNAUD JOURNOIS

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"La pire des pollutions n’est-elle pas la pauvreté ?" avait lancé Indira Gandhi dans un discours resté célèbre, prononcé en marge de la première conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm, en… 1972. Ce n’est pas si bête : comment voulez-vous qu’une population innombrable dont la principale préoccupation est de trouver quelque chose à manger s’inquiète des émissions de gaz à effet de serre ou du tri sélectif des déchets ?

L’affaire se corse d’autant que les plus pauvres sont les premières victimes du réchauffement climatique comme des autres dégradations environnementales. Ce sont eux qui verront les premiers leurs choix de vie se réduire (déjà qu’ils ne sont pas bien larges), eux qui seront peut-être déplacés de force (on l’a vu à notre petit niveau[1] lors des inondations de l’été 2021)[2], contraints à la migration (Syrie, Somalie, Soudan), ou affamés par la spéculation sur l’eau et sur les denrées alimentaires. "Salauds de pauvres", disait Gabin dans La Traversée de Paris. La pauvreté est, clairement, une entrave à la cause écologique. Admettre ce constat peut conduire à une prise de conscience salutaire; du moins peut-on l’espérer.

Justice fiscale n’est pas un oxymore

Si l’on veut que l’ensemble de la population adhère au discours environnemental et climatique, il va falloir éradiquer la pauvreté. Ce travail herculéen passe par davantage de justice sociale. Et davantage de justice sociale passe, notamment, par plus d’équité fiscale. Ne soyons pas naïfs : nous savons qu’une large proportion de riches considère que si les pauvres sont pauvres, c’est qu’ils l’ont bien cherché, et qu’il y a un ordre naturel des choses qui fait de vous un pauvre ou un riche. Implacable. Selon cette doctrine, il est tout à fait justifié que les riches se préoccupent d’être toujours plus riches, notamment en éludant l’impôt, et qu’ils ne se préoccupent pas des trous d’une sécu dont ils disposent à l’aise et que les économiquement faibles paient pour eux. Il va donc falloir faire en sorte que les riches (personnes physiques comme personnes morales) acceptent de renoncer à l’ "optimisation fiscale"[3] afin que l’État dispose des moyens d’exercer la solidarité sur laquelle nos valeurs et notre ordre social sont fondés.

Davos poches !

Une posture vertueuse n’est plus une utopie: "Il est temps de taxer les ultrariches." Cette phrase tonitruante n’est pas extraite d’un discours du PTB mais d’une lettre ouverte publiée en marge du Forum de Davos, le rendez-vous annuel des ultrariches et de leurs complices politiques. Les signataires ? Deux-cents millionnaires provenant de pays parmi les plus riches de la planète. Cet ahurissant brûlot a été rendu public le 18 janvier dernier à l’attention des pontes réunis dans la très huppée station suisse. "Les extrêmes sont souvent dangereux et rarement acceptés sur la durée. Alors pourquoi, en cette période de crises multiples, continuons-nous à tolérer l’extrême richesse ?", écrivent ces millionnaires. On croit rêver. Sont-ils cinglés ? Ou bien, quoi, il y aurait un sursaut de morale dans le capitalisme? Considérons bien que ces 200 riches qui acceptent ainsi de s’offrir en holocauste au contrôleur des contributions ont bien compris que sans restaurer une certaine équité fiscale, l’avenir s’annonce bien sombre, même pour eux ; car ils auront, un jour ou l’autre, besoin de la participation de tous pour sauver ce qui peut encore l’être du climat et de la biodiversité. Or, on l’a vu, pourquoi les pauvres s’inquièteraient-ils de perdre ce qu’ils n’ont pas ? (Ici, un petit silence pour méditer sur cette phrase…) Il est donc de l’intérêt des riches de faire en sorte de rendre prospères les économiquement faibles. CQFD. Et revoici le ruissellement…

"Big Oil" pas content [4]

Apparemment, ce vent nouveau n’a pas encore ébouriffé la "major" pétrolière américaine ExxonMobil (Esso…), laquelle vient d’attaquer, devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le dispositif mis en place par l’UE pour taxer les superprofits exceptionnels des gaziers et des pétroliers. La guerre en Ukraine a fait s’envoler, en 2022, les prix des énergies fossiles, permettant à ExxonMobil, entre autres, de réaliser des profits parmi les plus élevés de son histoire. Pas question donc de gâcher cette belle fête : pensez donc, avec un chiffre d'affaires de 286 milliards de dollars en 2021, pour un bénéfice de 23 milliards, elle fait partie des entreprises ayant les profits les plus importants au monde. Touchez pas au grisbi! Il est également admis qu’ExxonMobil est l’une des sociétés pétrolières les plus actives dans la corruption de scientifiques incités à publier des études spécialement conçues pour discréditer le GIEC. On estime à quelque 22 millions de dollars les montants déjà "investis" par Exxon dans cette gigantesque opération de désinformation.

Accord et à cris

Face à de telles machines de guerre, nos gouvernements sont bien démunis ; on appréciera donc d’autant mieux qu’après plus d’un an de négociations, et malgré une opposition obstinée de la Hongrie et de la Pologne, l’UE ait enfin réussi à conclure un accord unanime visant à instaurer un impôt minimum sur les sociétés au niveau européen. Un pas important vers une plus grande justice fiscale, même si le taux d’imposition proposé, 15%, est calqué sur celui des pays membres pratiquant l’imposition la plus basse et que la mesure ne s’applique qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros par an. Eh oui, le chemin de Compostelle reste encore long, mais on aurait tort de bouder son plaisir : difficile d’arriver au sommet d’une échelle sans prendre pied sur le premier échelon.


[1] C’est le cas de le dire, haha

[2] Ici, loin de la Vesdre en crue, on parle de villes de plusieurs millions d’habitants comme Le Caire, Dakha, New York, Osaka, Miami, Calcutta, Alexandrie, Abidjan, Lagos, Rio de Janerio…

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[3] Ainsi que la fraude, mais cela va sans dire.

[4] "Big Oil" désigne les plus grosses multinationales pétrolières : Totalénergies, Shell, BP, Chevron, ConocoPhillips, Eni, etc…

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