Enseignement: caramba, encore raté

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La détresse des enseignant.e.s face à l’évolution du comportement des enfants mérite aussi une meilleure prise en compte. © Ligue de l’Enseignement

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Vive la rentrée ! Dans une pleine double page du Soir (30/8), la ministre de l’Enseignement obligatoire, Caroline Désir (PS), expose fièrement sa réforme des rythmes scolaires. Celle-ci s’inscrit, rappelle-t-elle, dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, lancé sous la précédente législature.

Le fait que, pour la première fois depuis 12 ans, l’enseignement obligatoire échappe aux mains griffues des séides de l’école «libre» (lisez : catholique), ouvrait une large fenêtre à l’institution de réformes ambitieuses. Quitte à susciter des grincements de dents dans le camp adverse, autant y aller franco.

Les sujets qui fâchent

Las, la montagne a de nouveau accouché d’une souris. La «réforme» que nous soumet la ministre passe encore une fois à côté de l’essentiel : le contenu des cours et la réduction des inégalités. Car, finalement, la question est posée : en quoi allonger d’une semaine les cours en fin d’année et avancer la rentrée scolaire de trois jours contribue-t-il à un «enseignement d’excellence» ? Non, franchement, on se fout du monde. Depuis des années, les soi-disant réformes ne portent que sur les aspects périphériques et logistiques (dates des vacances, état des bâtiments, formation des profs, redoublement, remédiation, réseaux, signes distinctifs d’obédience religieuse, carte scolaire ou décret inscription, etc.) en évitant soigneusement les sujets qui fâchent : le contenu des cours et la réduction des inégalités… (excusez la redondance).

Un échange libre de la pensée

Ce n’est pas faute que certains observateurs en aient parlé. Dans un article paru dans Espace de libertés en décembre 2014, puis ici-même en août 2017, j’alertais déjà sur ce curieux phénomène : dans les réformes successives concernant l’enseignement, il n’est jamais question du contenu du programme scolaire, désespérément figé depuis des décennies[1]. L’Unicef ne dit rien d’autre dans son appel à une éducation aux droits de l’enfant. Et d’autres font chorus : dans le numéro de septembre 2021 d’Espace de Libertés[2], Guillaume Lejeune, animateur au CAL de Charleroi, écrit que «on ne peut penser l’école sans repenser la société» (l’inverse est aussi vrai) et que «l’enjeu majeur de l’école […] (est) d’interroger la logique du monde qui nous entoure». Et d’ajouter ce qui devrait nous apparaître comme une évidence : «À l’individualisme de la concurrence, une école humaniste opposera des expériences de coopération basées sur un échange libre de la pensée». Ainsi en va-t-il par exemple de l’"enseignement phénomène" finlandais, qui associe plusieurs matières par l’étude de phénomènes sociaux servant de liant à une réflexion transversale. Toutes idées que je développe en long et en large dans mon ouvrage «Les cahiers au feu», à paraître sous peu.

Mort à la grille hebdomadaire

Qu’ajouter à cela, sinon qu’aucune réforme scolaire ne changera quoi que ce soit sans une mise en adéquation des contenus aux changements sociétaux qui ont pris un essor sans précédent au cours des dernières années ? Formation au décodage de l’information et de la désinformation, éducation à l’écologie pratique, éducation à une alimentation saine, éducation à la réflexion philosophique, au fait religieux et au respect de l’autre, à la vie affective et sexuelle, à l’égalité des genres, à l’art en général et à la musique en particulier dès lors qu’il est scientifiquement admis[3] que celle-ci favorise le développement cognitif de l’enfant, etc. Quelle prise en compte de la différence de culture entre les élèves? De l’éventail des capacités d’apprentissage?

Par ailleurs, il semble désormais également nécessaire de sortir du système d’horaire hebdomadaire, tant la multiplication des sujets à enseigner rend celui-ci étriqué et mal adapté. Une grille horaire bimensuelle, voire mensuelle, permettrait d’ajouter plusieurs nouveaux cours adaptés à l’univers sociétal d’aujourd’hui, en contribuant, par l’aspect pratique et l’application quotidienne, à relever le niveau d’intérêt des élèves et à réduire les inégalités d’accès à l’enseignement[4]. On pense par exemple aux élèves dont les parents n’ont pas nécessairement les connaissances linguistiques qui permettent de les aider dans la compréhension des concepts de l’enseignement traditionnel.

Peut-on espérer que les responsables de l’enseignement et de l’éducation se penchent sur ces questions, quitte à bousculer un peu le conservatisme des milieux enseignants et des pouvoirs organisateurs ? Comptons sur nos lecteurs pour faire passer le message à qui de droit. Dans l’intervalle, ceux qui prônent cette révolution continueront de prêcher dans le désert de l’aveuglement ministériel.

Pour ceci comme pour le reste, encore bravo, et merci.


[1] Exception faite du cours de philosophie et de citoyenneté, dont il faut reconnaître qu’il a du mal à se généraliser au-delà d’une heure par semaine. Les bons vieux cours de religion ne veulent pas crever.

[2] Pas encore mis en ligne à l’heure où j’écris

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[3] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3449320/

[4] Oui, cela passe par une réduction des heures consacrées à des matières dites essentielles comme les mathématiques ou le français, le niveau de certains profs dans cette dernière n’incitant pas à poursuivre dans la voie actuelle.

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