Divergences entre Montessori et Freinet

Pour remettre les idées à l’endroit...

Par | Penseur libre |
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Maria Montessori et Célestin Freinet, Voix et voies pour notre école, Bérengère Kolly et Henri Louis Go, éditions ESF
 

Voici, à ma connaissance, le premier livre (212 pages) traitant des concordances et des divergences entre les deux grands pédagogues. On pourrait s’en féliciter étant donné que, depuis quelque temps, la question nous est posée de plus en plus par les enseignants et les parents.
L’autrice et l’auteur (l’une spécialiste de Montessori, l’autre de Freinet et tous deux universitaires), utilisent la forme dialoguée pour les analyser.
Je ne crois pas que ce soit le meilleur choix. Dès les premières lignes, les auteurs reconnaissent d’ailleurs ses limites. Ainsi, inévitablement, voit-on les mêmes sujets apparaitre dans des chapitres différents. Cela permet parfois un éclairage nouveau, mais le plus souvent, l’effet de répétition s’installe.
De plus, en refusant de céder à la polémique, les auteurs donnent souvent l’impression de monologuer. Quand les descriptions d’un désaccord ou d’un point de friction entre les deux pédagogies s’annoncent, ils s’empressent de les minimiser ou de les attribuer à l’ambiance de l’époque. Ainsi en est-il des positions de la doctoresse vis-à-vis de l’Église, du mouvement fasciste italien et des liens amicaux qui l’unissaient à Mussolini. Sur ces points en particulier, les désaccords sont pourtant criants entre les deux pédagogies. Mais le langage entre les auteurs reste policé. Par exemple, si une description d’un tableau pieux que l’on rencontre souvent dans les écoles Montessori pose question1, le débat ne s’installe pas entre nos deux interlocuteurs. Le poisson est noyé de façon subtile : ce tableau exalte la maternité, les femmes et les mères. À cette occasion, Montessori se révèle donc féministe, rien de moins ! Le fait qu’elle ait écrit pas moins de trois livres concernant l’éducation spirituelle des enfants (L’enfant dans l’Église [1929],La vie en Jésus-Christ [1931] etLa messe vécue pour les enfants [1934]), qu’un local de son école soit une chapelle où les enfants sont invités à se recueillir et à participer à l’eucharistie dès l’âge de quatre ans, ne pose pas non plus de problème entre nos deux professeurs. Des marchands du temple montessorien proposent même des « kits de messe miniature » pour jouer (non, pardonnez-moi, on ne joue pas avec ces choses-là), pour s’initier à la liturgie. Précisons cependant que les instances montessoriennes, tout en laissant faire, n’approuvent pas cette marchandisation.
Ses rapports avec le Duce, qui fut un temps intéressé par sa pédagogie, sont à peine approfondis. La célèbre photo d’un enfant écrivant avec l’alphabet mobile : « Benito Mussolini aime beaucoup les enfants » aurait bien illustré cette partie. Il faut évidemment préciser que Maria Montessori s’est dégagée de son influence en s’expatriant en 1936…
Ailleurs, l’auteur affirme que les premiers écrits de la doctoresse « ont des accents clairement socialistes », alors qu’elle a toujours revendiqué le fait qu’elle ne s’occupait pas de politique !
Il est frappant de constater que les anecdotes ou situations pédagogiques décrites du côté Freinet parlent de « la pédagogiede Freinet » pratiquée à l’École Freinet de Vence et nulle part ailleurs. Le Mouvement Freinet n’est évoqué qu’à quelques courtes reprises et c’est pour le dénigrer en refusant de valider la pédagogie qu’il pratique2.
Il y aurait ainsi des manières correctes de pratiquer la pédagogie Freinet (entendez celles de l’École de Vence). L’autrice opine du bonnet. Pour les adeptes de Montessori, c’est la même chose.
On y apprend aussi, p. 118, que « Freinet le communiste n’a jamais caché son inspiration évangélique » (ce qui le rapproche de Montessori !). Constamment, les auteurs constatent leurs convergences (« Il y a là encore une convergence », « Les montessoriens vont exactement dans le même sens. », « Je ne peux que souscrire à cela », « Nous sommes bien d'accord », « Ce sont les mêmes mots qu'employait Freinet », « On ne peut être qu'à l'unisson de cette philosophie avec Freinet », etc.). Par contre, les oppositions sont rapidement évacuées, au point que les commentaires de l’un apportent souvent de l’eau au moulin de l’autre.
Un « mouvement » Montessori est évoqué alors qu’il s’agit plutôt d’une association et en tout cas pas d’un mouvement comme nous le concevons à l’ICEM et plus généralement dans les mouvements Freinet, c’est-à-dire coopératif et évolutif.
Vous l’aurez compris, le souci constant de limer les aspérités entre les visions (pourtant souvent opposées) des deux célèbres pédagogues grippe littéralement le débat et ne permet pas d’approfondir les différences entre Montessori et Freinet, ces oppositions étant souvent dues aux incompréhensions des lecteurs, bien entendu. Parfois, les auteurs les affublent de l’adjectif « pa-radoxales », sans plus.
Les références fréquentes à la psychanalyse embuent la communication. Les deux auteurs, à l’occasion, appellent Freud et d’autres à la rescousse pour justifier les comportements des deux pédagogues.
Les conceptions élitistes des auteurs affleurent souvent dans leur discours3.
Ils se défendent d’utiliser un jargon qui ne permettrait pas « aux lecteurs non spécialistes » de se faire une opinion. Néanmoins, à la lecture, on constate qu’ils n’ont pas été en mesure de se départir d’un langage complexe et peu adapté au commun des mortels. Trop souvent, quand les idées n’ont pas été exposées clairement, ils utilisent ce que j’appelle des circonvolutions du langage : « apprendre à écrire, sans écrire », « mais en n’agissant pas, il agit tout de même », etc.
Pour conclure
En fait, je suis profondément inquiet de voir ce livre tomber entre les mains des praticiens et praticiennes qui cherchent à orienter leur action vers une de ces pédagogies ou pire vers une pédagogie mélangeant allègrement des pratiques de l’une et de l’autre. Son contenu, vidé de toute polémique, sa forme, difficile à appréhender, ne peuvent faire qu’ajouter à la confusion. On aurait pu espérer que ce travail réponde clairement et sans ambigüité à la question « Qu’est-ce qui distingue la pédagogie Freinet de la pédagogie Montessori ? ». Ce n’est pas le cas. Il faudra remettre l’ouvrage sur le métier.

1  Un tableau de Raphaël représentant la Madone et son enfant.
2  Deux exemples : « Toute verticalité ayant disparu du Mouvement Freinet, chacun y fait ce qu'il veut. Les éducateurs de l'École Freinet, en lien avec notre équipe de chercheurs, assument eux une position verticale, en ce sens que nous sommes convaincus de la nécessité d'une formation longue à des pratiques correctes par voie de filiation. » (p. 62)
« …je m'interroge sur la légitimité de ce mouvement, de nos jours, à assurer des formations à la « pédagogie Freinet », car une très grande part de l'héritage pédagogique freinetien a été perdue. » (p. 208)
3  « …l'essentiel de cette pédagogie dépend de la qualité du maitre. …d'une certaine manière, cette pédagogie est paradoxalement élitiste dans la mesure où elle ne peut être correctement pratiquée que par une élite d'éducateurs. » (p. 65)

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