FRANCOIS VALLEJO :Efface toute trace CAROLE FIVES : Térébenthine

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
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Lecture 8 min.

François Vallejo : Efface toute trace

Editions Viviane Hamy

Carole Fives : Térébenthine

Editions Gallimard

Pour compenser sans doute ces derniers mois qui nous ont privé des musées et autres lieux d’exposition j’ai eu envie de lire deux romans publiés à l’automne dernier, qui, chacun à sa façon, mettent l’art en scène. Ils interrogent ses fluctuations soumises aux modes, aux idéologies, aux profits et pouvoirs de tous ordres – financiers, intellectuels, politiques mais montrent aussi comment l’art, ou plutôt certains artistes, résistent…ou pas.

Jusqu’où peut aller l’art ? où est son point de non-retour ? l’art dit « éphémère », le « street art », s’inscrivant sur les façades des immeubles, des palissades, et disparaissant peu à peu, est-il là le point extrême ? l’effacement ?

C’est la question, ou plutôt l’une des questions, que se pose et nous pose François Vallejo dans ce livre assez perturbant, à l’écriture efficace et à la construction savante, Efface toute trace.

Cette enquête policière va nous parler des artistes et du marché de l’art des années 1950-60 jusqu’aux années1990 Jaspers Johns, Roy Lichtenstein, Damien Hirst, Rauschenberg, Warhol, Ben…du Pop-Art au Street-Art en passant par les Performances, les Installations, toutes formes d’expressions artistiques qui ont fait peu à peu passer au second plan les œuvres picturales.

Tout commence par la disparition de quatre hommes d’affaires habitant différents pays et sont collectionneurs d’art, par intérêt financier ou par désir d’afficher leurs goûts pour des œuvres cotées et montrer par-là leur toute-puissance. Leur mort est tellement brutale et théâtrale que quelques-uns de leurs amis, inquiets, se regroupent pour former un « consortium de l’angoisse » et font appel à un cabinet d’expertise qui dépêche un enquêteur afin d’examiner les conditions de ces morts suspectes et les liens possibles entre chacune.

L’ enquêteur sera le narrateur du récit, nous le suivrons sur les pistes qu’il va explorer une à une, en se trompant parfois, en nous emmenant avec virtuosité sur des voies de traverse, mais en n’oubliant jamais de porter sur le monde de l’art regard, critiques et jugements ironiques. Jusqu’au moment où il rencontre j.v. un artiste autodidacte, qui semble concentrer sur sa personne mégalomane, inventive et destructive, tous les motifs susceptibles d’avoir causé la mort des quatre collectionneurs qui ont tous eu entre les mains une œuvre de ce plasticien inconnu mais dont la cote a subi au fil du temps des variations inexplicables.

Le narrateur qui jusque-là menait une enquête assez scientifique, un brin oulipienne*, en fait alors une affaire plus personnelle, plus humaine en fréquentant très étroitement l’étrange personnage qui va lui livrer, par bribes, et dans des situations souvent surprenantes, les étapes de sa vie qui l’ont mené jusqu’à l’aboutissement le plus extrême de l’art…

Le narrateur accompagnera j.v. à l’hôpital Necker des enfants malades à Paris, où il était soigné enfant et avait pu admirer l’œuvre de Keith Haring : une tour sur laquelle l’artiste avait peint des silhouettes en mouvement, très colorées, qui symbolisaient la vie, œuvre grâce à laquelle j.v. décida de devenir lui-même plasticien.

Il suivra aussi les traces des 4 riches collectionneurs d’art tous friands d’œuvres aux prix exorbitants destinées à blanchir l’argent de divers trafics…mais dont le point commun est que leur corps a été, à chaque fois et selon un procédé différent, dissous, c’est-à-dire qu’il a totalement disparu.

Ces disparitions sont-elles le résultat d’une suite d’événements incontrôlés qui vont nous emmener aux États-Unis, à Hong Kong, à Paris ? ou sont-elles dues au mystérieux j.v., serial artiste doublé d’un serial killer ? l’enquêteur-narrateur va-t-il réussir à rassembler toutes les figures de ce puzzle pour donner à voir l’image finale à ses commanditaires…et à nous, lecteurs ?

*Oulipo : Ouvroir de LIttérature POtentielle, mouvement de littérature qui travaille sur les contraintes formelles, illustré notamment par Raymond Queneau, Italo Calvino, Georges Perec…

François Vallejo a publié tous ses romans chez Viviane Hamy – excellente éditrice qui a fêté en 2020 ses 20 ans d’existence, sa maison d’édition est devenue, en septembre dernier une filiale de Flammarion – il a reçu le prix du Livre Inter 2007 pour un roman intitulé « Ouest ».

La peinture, c’est bien cela qui occupe la jeune narratrice dans le roman de Carole Fives, Térébenthine. Elle ignore, lorsqu’elle s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts, que cet art est en perte de vitesse au point que les « ateliers » des élèves-peintres sont situés dans les caves froides et humides de l’Académie parce que « Les éclaboussures de couleur et les odeurs de térébenthine ne sont plus tolérées », et que son professeur d’histoire de l’art, Urius, leur montrera un tableau de Lucio Fontana en leur expliquant que l’artiste avait décrété « qu’après Hiroshima et Nagasaki peindre était devenu impossible » et lacéré ses propres toiles, début des « Performances », un « art éphémère qui ne cherche pas à créer d’œuvre ni à laisser de trace » leur assène Urius. Ambiance ! et rencontre de ces deux romans autour de ce concept de disparition.

Des traces pourtant, l’apprentie peintre compte bien en laisser, mais avant, il lui faut apprendre, découvrir, résister, tenter. Elle le fera avec ses deux compagnons Lucie et Luc, elle le fera contre les profs qui l’incitent à délaisser son travail de peintre pour des installations. Face à l’amphi et à Urius qui n’en parle jamais, elle présentera le travail des artistes femmes : Niki de Saint Phalle, Shigeko Kuboto, Cindy Sherman, Orlan, Annette Messager, Miss Tic, elle montrera l’évolution de leur travail - elles aussi ont utilisé différents supports, y compris leur propre corps - mais c’est par la peinture qu’elle terminera son exposé, sur des toiles de la Sud-africaine Marlene Dumas, des lavis montrant des corps nus, abîmés, qui expriment son désir de montrer les inégalités sociales, le racisme, mais aussi le désir, l’érotisme.

Pendant les trois années des Beaux-arts, les trois amis vont partager leur passion au chaud de leur amitié, vont s’épauler pour construire des exposés, vont aimer, et surtout vont peindre, peindre à tout prix, peindre contre toutes les critiques, les diktats des théoriciens, des marchands d’art, peindre « en apportant leur corps », disait Paul Valéry.

Carole Five nous décrit à merveille les espérances de ces jeunes artistes en devenir, on devine qu’elle-même a connu, traversé ces difficiles années, qu’elle aussi s’est cognée aux modes, elle nous dit que si certains parviennent à garder leur volonté de peindre intacte, d’autres s’y brisent…

L’auteur, comme la narratrice de son roman, a survécu mais abandonné la peinture…pour l’écriture…et on ne le regrette pas !

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Carole Fives a fait des études de philosophie et d’art, elle a enseigné les arts plastiques à Lille.

Elle a publié chez Gallimard et d’autres éditeurs des romans, des nouvelles et des essais.

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