Inégaux devant le prix du pain

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Hé les copains, qui nous dira la vraie valeur du pain? Photo © Marcel Leroy

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Le prix d'une tranche de pain n'est pas le même pour tout le monde.

Dans l'entrée du Resto du Coeur de Charleroi, une dame âgée de soixante ans confie sa raison d'être là. Technicienne de surface, usée par le travail, elle vit du revenu d'insertion sociale du CPAS, soit un peu plus de 1200 euros par mois. Elle loue une chambre 400 euros par mois. Débourse plus de 200 euros pour le gaz, l'électricité et l'eau. Ensuite, il lui faut payer le reste, des assurances aux trajets en bus, et  vivre. C'est pour cela qu'elle mange tous les midis de la semaine à la place Delferrière. Ici elle  se sent moins seule. Ecoutée. A la sortie,  elle emporte souvent un pain que Claude, le chauffeur de l'association, est allé chercher tôt le matin, chez des boulangers solidaires, chez des artisans ou dans les entrepôts de grandes surfaces.

Elle le connaît, le prix du pain...

Pour un pain moyen de 500 grammes le coût en Belgique va grosso-modo de 1 euro 78 à 3 euros 50, selon la qualité de la farine, la présence de levain, la cuisson sur pierre ou pas. Il ne faut pas être un économiste pour vérifier le fait que s'offrir un pain prend plus de votre budget quand vous devez vous débrouiller avec 1200 euros sans même imaginer que certains en gagnent cinq ou dix mille par mois. Ce fait nous ramène au projet de réforme de la fiscalité, où il est question de faire passer la TVA de 6 à 9% sur des produits alimentaires de base. Avec cette explication foireuse selon laquelle les mieux nantis consommant plus que les fauchés, les richards seraient plus directement touchés par cette mesure. Ce qui pourrait apparaître plus ou moins logique dans un document abstrait vole en éclats quand on prépare ses tartines chaque matin, avec des tranches de cervelas, pour aller bosser, ou pour tenir le coup, simplement, pour la journée.

Augmenter la TVA sur le pain c'est regarder la réalité de si haut qu'on en oublie que le prix d'un pain dépasse celui du bus et parfois d'un paquet de frites. C'est ne pas savoir que le pain est  plus qu'un aliment mais une culture et un symbole. Aujourd'hui, tout le monde devrait avoir accès à du pain façonné avec de la farine de qualité, non pétri de pesticides, contenant des fibres et des vitamines, pour se nourrir de manière équilibrée. Il faut des moyens pour manger sainement. Dans ce contexte, cette semaine, une dépêche de l'agence Belga qui a fait l'objet d'une brève dans Le Soir, émanant de l'OMS, observait que la part de ménages belges ne pouvant pas faire face à certains soins de santé est parmi les plus élevées d'Europe occidentale.

Les Belges les moins riches peinent à se payer des lunettes, des appareils auditifs et certains soins dentaires...

Toujours au Resto du Coeur, à Charleroi, cette réalité s'est matérialisée lors d'une distribution de pain. Je me demandais pourquoi les pains de seigle dont la densité était grande et le goût prononcé partaient moins vite que les pains blancs pareils à des éponges. Un gars que je connais a rigolé devant mon ignorance et sans doute ma veine: "T'as vu mes dents? Avec ça tu crois qu'on peut mâcher du pain gris dur comme une pierre tellement il est épais?". Il était reparti avec son sac, vers la rue, les tentes sur les terrils, les garages servant d'abri, les piaules à 400 balles pour un manque de confort garanti.

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Bizarrement, de lire que la TVA devrait augmenter pour le pain m'a secoué. Comme si les personnes - que je veux croire de bonne volonté- chargées d'élaborer certains textes qui conditionnent nos parcours respectifs, vivaient à mille bornes de la rue qui conduit au Resto du Coeur. Pourtant des rues comme celle-là, il y en a des tas, pour une personne sur cinq, dans ce petit pays d'Europe où la précarité et l'opulence se croisent sans se voir ni se parler. Cela écrit, je sais que des élus et des élues luttent contre la précarité, que les CPAS abattent un boulot énorme et que les associations dans ce contexte font tout ce qu'elles peuvent pour réparer les trous du filet de la sécurité sociale, avec l'appui des gens comme du public.

Mais, quand même, tout cela ne me fera pas croire que le prix du pain est le même pour tout le monde. Or, pour vivre, comme dans la vieille chanson. de lutte féministe, il faut tant du pain que des roses. "Bread and Roses" chantait Judy Collins. Vous l'entendez, cette mélodie? Tiens, la TVA va-t-elle augmenter aussi pour les fleurs?   

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