Kiruna de Maylis de Kerangal

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le

Kiruna,de Maylis de Kerangal

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Lecture 6 min.

Le nom de cette écrivaine ne vous est sans doute pas inconnu, son éditeur principal, l’excellent « Verticales », a publié presque tous ses romans, dont Corniche Kennedy, Naissance d’un pont (Prix Médicis 2010), Réparer les vivants et le récent Un monde à portée de main…

Ces livres ont eu des prix littéraires, ont été – ou le seront – adaptés au cinéma, mais vous n’avez peut-être pas entendu parler de ce livre-ci, publié au début de l’année dernière chez un de ces « petits » éditeurs que j’affectionne, ceux qui font découvrir de nouvelles voix ou demandent à des auteurs connus de prendre un chemin de traverse…ce qui a été le cas pour Maylis de Kerangal.

Elle adore les lieux, les espaces, l’architecture, elle sait nous les faire ressentir, nous en montrer les secrets, les failles, les beautés…quels qu’ils soient, où qu’ils soient, elle aime aussi leurs habitants, elle aurait pu être grand reporter, découvrir terres et hommes, enquêter sur leur histoire commune…mais il lui aurait sans doute manqué le temps de l’écriture. L’écriture, ce par quoi l’écrivain transcende la réalité, l’éloigne pour nous la rendre autre, plus forte, plus vraie parfois, ou plus étrange…et, écrivain(e), Maylis de Kerangal l’est, pleinement, bellement.

Elle voyage donc, pour vivre de nouvelles expériences. Elle a cherché une mine, « comme on cherche un point de passage dans le sous-sol terrestre » et elle a trouvé. Une résidence d’artistes appelée «Mineurs d’un autre monde» lui a proposé Kiruna, en Laponie suédoise. Kiruna, ville de 20.000m² et 20.000 habitants, dont la seule raison d’exister a longtemps été la mine, mine de fer dont l’exploitation a commencé à la fin du 19ème siècle. De ce séjour Maylis fera un livre qui n’est pas un roman, pas un reportage, plutôt un récit de voyage qui saisira la ville vivant de, par, sa mine.

Pourtant, nous ne visiterons pas cette mine car, hors la zone d’accueil située tout de même à – 574m, celle-ci est interdite aux visites, nous n’irons donc pas au fond (- 1365m !) « passer la tête sous la peau de la planète » , mais l’auteur, qui ne rencontrera pas non plus de mineur, va nous emmener la vivre autrement car si elle nous raconte l’histoire de la mine grâce au musée et à des photos du passé, ce n’est pas la description d’une mine et ceux qui y descendent qui l’intéresse, elle veut nous décrire ce que la mine a fait de la ville, comment elle l’a transformée, pour le meilleur, pour le pire…pourquoi des étrangers ou des jeunes qui l’avaient quittée, ont décidé d’y vivre, comme la Française Alice, géologue, arrivée là, dans ce bout du monde, par hasard comme tant d’autres émigrés intra-européens ; comme Lars son guide, fils de mineurs, parti faire des études de journalisme à Stockholm mais revenu à Kiruna, employé dans le département de communication de la LKAB.

La LKAB : personnage principal de la ville, elle en est le pivot, propriétaire de la mine, elle loge ses employés, les éduque, les transporte, offre même à la ville son église à l’architecture renommée…le siège de LKAB est dans un immeuble de 13 étages, seul immeuble qui surplombe la ville et la reflète grâce à son habillage de verre, montrant par là toute sa force et son emprise.

Maylis de Kérangal nous racontera aussi la naissance de cette étrange ville, ses personnages légendaires, comme Anna, dite « l’Ourse noire », dont parlent encore aujourd’hui les gens de la mine, une des premières femmes qui viendra travailler, non à la mine car au 19ème siècle elles n’y sont pas admises, mais en tant que femme nourricière, cuisinant et servant les mineurs ; Hjalmar Lundbohm, arrivé en 1898, géologue chargé par LKAB de superviser l’extension de la commune. Il y restera jusqu’en 1920 et fera de Kiruna une cité modèle car, profondément humaniste il voudra le meilleur pour les habitants : les maisons des mineurs, une centaine, constituent encore aujourd’hui un exemple d’habitations réussies, à la fois pratiques et raffinées, il équipera la ville d’un éclairage urbain, de l’eau courante, d’un tramway, mais aussi de lieux de culture…

Drôle de ville, vraiment, on ne sait pas si ses habitants sont vraiment heureux dans ce froid polaire et ces nuits qui ne finissent pas, ils « s’adaptent » comme ils disent, ils ont tout le confort, la LKAB y veille, les loyers sont bas, ils gagnent bien leur vie et ils accueillent même sans problème quelques non européens, des Erythréens, des Congolais car il y a du travail, et de la place ! et de la place il y en aura plus encore puisqu’une partie de la ville va être déplacée et reconstruite à cause des forages qui entraînent des glissements de terrain…

Heureuse cité de tous les mélanges, à la modernité assumée ? ville menacée par son extension minière qui perturbe violemment l’environnement ? Maylis n’est pas optimiste pour son avenir mais elle nous aura emmenés dans un ailleurs étrange, où les splendides aurores boréales admirées par ces nouveaux habitants éphémères, les touristes, s’élèvent au-dessus d’une terre blanche de neige barrée par une veine noire de 4 kilomètres.

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Maylis de Kerangal
Kiruna
(Editions) La Contre Allée
Collection Les Périphéries : «Elles nous déportent, nous décentrent, nous amènent à des confins, nous font prendre des parallèles, explorer les recoins, les Périphéries nous relient, aussi. »
lacontreallee.com/

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