Une conversation au Pommier

Une édition originale

Par | Penseur libre |
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Sur un portrait de Charles Darwin

Vers midi, comme une ombre passait, je crus voir un fantôme et reconnus en lui Monsieur Charles Darwin.

Plus tard, dans l’après-midi, tandis que je faisais lecture à mon ami Charles de quelque passage d’un livre le concernant écrit par un paléoanthropologue de XXIème siècle, celui-ci se trouva fort ému de l’hommage qui lui était rendu en maintes occasions au fil des pages.

L’auteur du livre se souvenait notamment du centenaire de la parution de " L’Origine des espèces ", en 1959, alors que sortait le film " Les Racines du Ciel ", d’après l’œuvre romanesque de Romain Gary, qui résonnait comme une des premières alertes sur la disparition des espèces animales, en l’occurrence des éléphants d’Afrique.

Charles m’interrompit et me dit :

"Vous avez parlé de film, …mais de quoi s’agit-il ?" Un instant interloqué, je répondis :

My Dear Charles, connaissez-vous la photographie ? Miss Julia Margareth Cameron a fait en 1877 un beau portrait photographique de vous…

Oui en effet ; et je n’aime pas cette photographie; j’y suis figé, je ne dirais point comme mort, ni même sans vie, mais d’une vie étrange, d’une vie à la fois figée et inquiète… et puis j’y suis si sérieux.

C’est pourtant ce sérieux-là qui accompagnera tout votre héritage… Mais, plus précisément, comprenez que quelqu’un qui regarde ce portrait peut vous y voir sérieux, et que quelqu’un d’autre, malgré le fait qu’il s’agisse toujours de la même photographie, peut vous y reconnaître plutôt triste ou mélancolique ou même rêveur ou encore légèrement distrait. C’est la puissance expressive de l’instantané photographique : être à la fois une image figée dans le temps et mouvante dans l’imagination des gens qui la découvrent. Le film, lui, peut - comme une photo qui bougerait - raconter une vie, en nous montrant, par exemple, la durée même qui a fait l’histoire de cette vie.

Ce serait comme la photographie d’un livre ? demanda le professeur Darwin.

Pas tout à fait, mais pourtant, c’est la vie même et toutes ses actions possibles qui se déroulent devant nos yeux, mais uniquement en images. Je m’explique.

Nous étions à quelques pas d’un bassin où l’on pouvait se baigner, à l’ombre d’un grand figuier à notre gauche et les jardins somptueux grimpaient sur notre droite vers la maison provençale de notre amie Catherine.

Imaginez, mon cher Charles, que sur cette sorte de photographie qu’est un film de cinéma, nous voyons descendre par notre droite un jeune homme. Ce jeune homme passe devant nous, plonge dans le bassin, y fait quelques mouvements de nage, puis sort, s’ébroue et remonte du jardin jusqu’à la maison. Là, il y entre et y allume une lumière, car le jour décline.

Tout cela nous le voyons dans toute la durée qu’il lui faut pour accomplir ces actions et, comme pour la photo, nous pouvons toujours revoir cela aujourd’hui et demain, et encore dans six mois, toujours identique, tout comme la photographie.

Monsieur Darwin, pensif, murmura alors : "  …comme un mouvement perpétuel…qui ne changerait jamais et n’évoluerait pas… "

Revoyant l’expression triste et inquiète du portrait de Mrs Cameron, j’ajoutai :

Le film - le cinématographe comme on l’appelle - c’est voir la durée qui dit l’expression du temps. Sur un visage, sur les jours… Lorsque je regarde votre portrait, mon imaginaire peut beaucoup, je dirais même qu’il y est invité sinon obligé. Je peux me dire : "il semble que M. Darwin va se détourner et me regarder… Ou encore : il semble qu’il va se lever et sortir de la pièce." Mais je puis aussi me dire : " il y a dans ce regard toute l’intensité d’une pensée qui dépasse son siècle !" Et cela uniquement parce que je vous ai lu.

Le film de cinéma que nous évoquions (court, pas plus de 6 à 8 minutes), où nous voyons un jeune homme apparaître, passer, se baigner et repartir, a peut-être une possibilité métaphorique accrue. Car, une fois celui-ci entré dans la maison, la lumière s’allume et nous continuons à regarder la demeure et son éclairage lointain bercé par la brise du soir et le doux murmure des lauriers roses. Le jeune homme, nous ne le voyons plus, mais nous savons qu’il est là. Peut-être s’est-il emparé d’une feuille de papier et peut-être s’est-il mis à écrire une histoire de jardin et de baignade. Alors notre esprit s’échappe et il est libre de voir dans cette courte baignade une manière de se frotter au Monde avec le danger de s’y noyer. Comme nous pouvons aussi songer qu’il retrouve, au creux de la demeure, la lumière de l’esprit, seule propice au mouvement même de sa pensée intime…

J’aimerais bien voir un tel film ! dit Charles Darwin. Mais nous deux nous ne sommes-nous pas dans le film ?

Pas dans celui-ci dis-je. Mais nous pourrions réaliser un autre film dans lequel, par exemple, nous rentrerions tous les deux dans le jardin et que vous décideriez, cher Charles, de vous baigner, tandis que je monterais jusqu’en haut des jardins et me mettrais à écrire à la lumière d’une chandelle dans la charmante maison de Catherine.

Un regard complice nous fit rire d’un bon élan et Charles me dit enfin : "Ce serait formidable n’est-il pas ? Mais nous discuterons tout de même de l’attribution des rôles !"

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Boris Almayer
Eté 2019

 

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