De la Valse Russe aux Eaux du Danube avec Nicolas Delesalle et Jean Mattern

Livre examen

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 5 min.

Nicolas Delesalle, grand reporter, est un français d'origine russe par sa mère qui a fui le régime bolchévique pour se réfugier en France. Il couvre l'actualité en Ukraine. Il est également romancier comme de plus en plus de ses collègues. Comme si le surcroît de fake news les orientait vers le monde imaginaire.

Dans ce dernier livre, l'actualité côtoie les souvenirs et l'histoire, le roman. En croisant les chronologies et les destinées d'une maman, de russes qui ont un peu honte de l'être, d'autres qui en sont fiers, d'un vieil Ukrainien qui se sent Russe mais fier d'être Ukrainien, et d'un mercenaire du groupe Wagner, un autre éclairage se jette sur la guerre en Ukraine.

Agréable à lire, ce livre a le mérite de nous rappeler la complexité des identités dans les guerres entre nations.Qui est qui et quoi ? Qui fait qui et quoi ? Et de rappeler ainsi que les traces de nos identités ne sont pas tant politiques que poétiques. Elles rassemblent en nous ce qui est épars, ce mélange de ce que nous nous forgeons au quotidien autant ce que nos aïeuls nous ont transmis explicitement ou implicitement sans compter tout ce que notre corps a retenu de ce que notre conscience dénie. En soi, voici un bref et précieux rappel qui rend la réalité des guerres encore plus idiote. Mais la diplomatie des pipelines et autres greniers à blés a une logique que l'économie ne rend pas accessible au citoyen. Le magnifique documentaire de BHL m'a déjà ouvert ces portes. J'aurais sans doute du lire le livre avant.

Et c'est ce qui rapproche ce livre du suivant, "Les eaux du Danube" de Jean Mattern.

Un tout petit bijou de 109 pages paru aux belles éditions de Sabine Wespieser.Il se lit en apnée. Il ne prend pas la tête parce que tout ce qui est fondamental est suggéré, esquissé, sous-entendu pour nous raconter la banalité d'une vie de pharmacien, Clément Bontemps, un prénom et un qui définissent précisément et sommairement la vie de et le caractère de notre héros. Il a quitté Bordeaux pour ouvrir une officine à Sète, ville de Valéry, le jour de son Mariage avec une femme qui a fait sa thèse sur le même Valéry. Une thèse qui ne lui sert à rien. Elle est devenue mère au foyer, apprécie un mari sans passion et quitte parfois le foyer pour assister à des concerts à l'étranger. Ils ont un fils. Il ne ressemble pas vraiment à son père mais ils nagent, une fois par semaine ensemble. Père, mère et fils Ils ont des routines en commun et presque rien que des routines

Un jour, le professeur de philo du fils, un certain Almassy, signale au père que son fils aimerait briser le mutisme que ce fils ressent entre son père et lui. Aligner des longueurs ne permet pas beaucoup d'échanges autre que l'essoufflement, les éclaboussures et les parfums de chlore. Cette confidence inattendue d'un prof vient perturber le quotidien du père qui vivait à l'abri des émotions. Le nom du prof aussi le secoue. Almassy, ce nom lui dit quelque chose. Il est d'origine hongroise comme sa mère dont il ne sait rien. Il lui rappelle un visite énigmatique dans la maison de son enfance, il y a bien longtemps. Ensuite, pris dans l'escalade inattendue des routines qui se rompent, il croise une écossaise veuve et en vacances à Sète. Le rythme de vie de Monsieur Bontemps finit par bouleverser son agenda et les horaires de son assistant en pharmacie. Heureusement, Madame Bontemps et leur fils sont déjà partis en vacances. Bontemps dort moins bien. Le cœur, les souvenirs et la respiration des nuis s'agitent. Il n'y a pas de valse ici, mais un tempo qui varie allègrement du moderato à l'agitato sostenuto.

Si vous voulez vous offrir une petite parenthèse souriante, vous découvrirez ici, des petits personnages dignes des dessins aiguisés de Jean-Jacque Sempé. Des personnalités expressives mais en pointillé. On ne rit pas mais on finit par se demander combien de Clément Bontemps nous croisons tous les jours, sans nous en rendre compte. Il y en a peut-être un, là, juste à côté de nous. Parce que ces gens soi-disant sans histoires forment la fameuse majorité silencieuse qui profite plus à la politique qu'à la qualité du vivre ensemble. C'est ce que Florence Aubenas rappelait à propos des rond-ponts et des gilets jaunes. En s'y rendant, on se réalisait brutalement le poids de nos solitudes. Ce pas autour d'un rond-point que père et fils de retrouveront. La fin du récit, comme les personnages, restent en pointillés que notre imagination relie selon notre humeur. Comme ces dessins d’enfant où relier chiffre, signes et caractères finissent par circonscrire un intention.
A bientôt

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Patrick

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