Entre les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle, que deviendra le libre-examen ?

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
le
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« L’Histoire des sensibilités » par Alain Corbin et Hervé Mazurel est un bel ouvrage collectif sur une nouvelle approche de l’histoire, celle des sensibilités.

Un petit livre qu’on ne peut pas fermer sans penser à ce que cette approche pourrait modifier dans le regard des analystes et autres commentateurs impulsifs de l’actualité où l’affect l’emporte si souvent sur l’argumentation dans les commentaires.
« Rappelons », écrit-il, « le nouvel âge compassionnel ouvert par les réseaux sociaux et l’incessant déluge médiatique contemporain d’une époque, la nôtre, qui voit également l’épanouissement d’un ‘capitalisme émotionnel’ capable de transformer jusqu’aux passions elles-mêmes, sans oublier l’émergence, sur fond de montée des populismes, d’une forme de gouvernement par les émotions. »

100 petites pages à glisser dans les mains des créateurs et diffuseurs d’informations parce que , « c’est dans le mode de présence à l’événement que l’on parvient le mieux à distinguer une émotion d’un sentiment. » Un livre à mettre aussi dans les mains de ceux qui persistent à donner à la raison un primat sur l’émotion alors que les acquis de la psychologie cognitive témoignent « de l’inséparabilité de l’émotion et de la cognition. »

Il ajoute que « rien dans nos existences, pas même celle de l’homo œconomicus, n’est désaffecté». Dire que les affects arabes et les affects juifs soient fondamentalement différents n’est pas du racisme. C’est le fruit d’une histoire plus que millénaire. De même que nos affects devraient nous amener à questionner l’évolution de nos valeurs universalistes ou à les réaffirmer plus précisément dans un monde qui en veut de moins en moins. 50% du monde est appelé aux urnes en 2024. Qu'adviendra-t-il de nos valeurs démocratiques? Mais bon, la discipline n’en est qu’à ses débuts comme toute l’hybridation des sciences humaines avec la psychologie et les neurosciences. À moins que ce ne soit l’ego qui infiltre tout. Il n’y a d’ailleurs « jamais d'accent sur le e d’ego! Ce serait un pléonasme puisqu'un ego ne cesse de mettre l'accent sur lui », disait Bernard Pivot. Cet ego qui me rappelle le danger de l’intelligence artificielle (A.I.) qui a été conçue pour plaire à ceux qui l’utilisent de sorte qu’ils viennent et restent le plus longtemps possible sur les plateformes qui mettent cette intelligence à disposition.

Flatter l’ego, la belle affaire. Face à cette A.I., comme sur les réseaux sociaux c’est l’individu qui est invité bien plus que le sujet et ce n’est pas la même chose. Dans l’individu, le mot l’indique, il y a de l’indivisible et donc peu de place pour la solidarité et la fraternité et encore moins pour l’échange et le débat.

Le sujet, contrairement à l'individu, se conjugue. Il est acteur du verbe qui le suit. Acteur et réflexif. Responsable et donc capable de réponse. Combien de temps résistera-t-il au confort des réponses aussi fulgurantes que plaisantes de l’A.I. ? On voit ce que ça donne sur les réseaux sociaux en matière de qualité de l’info et de propagation des fake news. On annonce un impact 1000 fois supérieur pour l’A.I. Quelle place restera-t-il pour la sensibilité au libre-examen ? On verra…

Les créateurs d'AI et les législateurs tentent d'imposer des règles éthiques inspirées du monde médical. Mais le monde médical a un focus : la santé. L’A.I. n'est pas focalisée, elle est ouverte à tout et n'importe quoi. Elle finira par se rendre indispensable comme l'automobile, elle façonnera autant nos façons de vivre ensemble qui seront aussi difficiles à changer. Cela se passera tellement plus vite que l'implantation de l'automobile que l'enseignement et la règlementation seront toujours en retard s'ils ne finissent pas par être orchestrés par l'A.I. elle-même.

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Ne vous méprenez pas toutefois, je ne suis pas contre l'AI, je suis convaincu cependant qu'elle ne fonctionne que par induction et fonde donc ses réponses sur le passé. Elle est incapable de penser le neuf et l'imprévu auxquels seul l'intelligence humaine et la sagesse peuvent faire face. Je suis par contre partisan de l'intelligence augmentée pour autant qu'on puisse m'assurer que j'en garderai le contrôle et que ce n'est pas l'AI qui finira par imposer sa soi-disant intelligence. Aujourd'hui, nous n'en avons aucune assurance. Elle incombe aux producteurs d'AI et la loi devrait l'imposer comme elle impose la responsabilité de la sécurité aux industriels dans le pharmaceutique et dans l'aviation. Dans ces conditions quand l'AI viendra en appui, elle garantira plus de productivité et de qualité, j'en suis sûr. Comme ici, où une intelligence collective continue à s’exprimer. Le lecteur ne sera pas toujours d‘accord mais, entre les lignes, il pourra toujours examiner librement ce qui s’y pense et ce qui s’y écrit. Il pourra même solliciter l'AI pour se forger son opinion plus rapidement, s'il le souhaite.
À bientôt.

Patrick

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