« Lève-toi, paysan d’Afrique ! »

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Si l'on cessait de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux?

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Deogratias Niyonkuru, ingénieur agronome, Secrétaire général et cofondateur de l’organisation burundaise Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines (Adisco), vient de publier un livre-événement qui bouscule l’univers de l’aide au développement. Et ça ne plaira pas à tout le monde !

Marre du néocolonialisme

Cet ouvrage considérable (500 pages), intitulé « Pour la dignité paysanne »[1] risque en effet de faire grimacer de nombreuses ONG qui ont fait un juteux business de l’aide au développement. Même si dans de nombreux cas, la bonne intention des activistes ne peut être mise en doute, ce sont les objectifs de ces organisations qui sont souvent en décalage complet avec ce dont les populations africaines ont réellement besoin. A l’image de la Banque mondiale et du FMI, qui conditionnent leur aide financière à des mesures gouvernementales libérales d’inspiration occidentale, de nombreuses ONG estiment encore qu’aider les populations pauvres, c’est leur permettre d’adopter des comportements et des organisations sociétales calquées sur les modèles européens ou américains. Un néocolonialisme larvé qui néglige les aspirations réelles et traditionnelles des populations locales.

C’est ce que dénonce Deogratias Niyonkuru, en rappelant quelques ouvrages fondateurs de la prise de conscience des Africains sur la maîtrise de leur propre destinée. Le titre du livre de Dambisa Moyo, « L’aide fatale : les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique », résume la problématique. L’aide internationale prend de plus en plus l’aspect d’un assistanat qui empêche les populations de construire leur propre développement en accord avec leurs valeurs civilisationnelles. Et de citer les Camerounais Michel Tchotsoua et Jean-Paul Pougala, qui démontrent que « l’Afrique a définitivement pris son envol et sera dans quelques décennies le moteur de l’économie mondiale, si elle travaille davantage sur une géostratégie continentale ».

Griffes cupides

Pour Niyonkuru, la base de cette émancipation est la mise en œuvre d’une agriculture paysanne, aux mains des femmes essentiellement, afin de conquérir une dignité perdue dans les tréfonds de l’aide internationale. Il s’agit de laisser un plus grand rôle aux organisations paysannes dans l’élaboration des politiques agricoles, et une place plus visible aux ruraux dans la vie politique en général. L’auteur en profite pour régler ses comptes avec les organisations qui investissent tous leurs moyens dans le plaidoyer politique : « Dans la très grande majorité des cas, le plaidoyer ne porte pleinement ses fruits que s’il s’enracine dans une action concrète de terrain. La stratégie de privatisation de la filière café, imposée par la Banque mondiale au Burundi, n’aurait jamais été réformée si nous n’avions pas aidé les paysans à construire leurs propres stations de lavage de café. L’adoption de la politique nationale de protection sociale n’a pu avancer que parce que nous avions développé des mutuelles de santé, progressivement viables. »

Sur base de ces constats et principes fondamentaux, Niyonkuru nous gratifie d’un véritable bréviaire du développement agricole adapté aux populations africaines, loin des griffes cupides des suppôts du « marché mondial » qui, jusqu’ici, n’ont fait que mener des populations à la ruine et à la famine en privilégiant l’agriculture de marché à la production vivrière et commerciale de proximité. Tant il est vrai que jamais les terres africaines ne pourront produire autant et à coût aussi bas que les modèles productivistes occidentaux et que dès lors, leurs prix ne seront jamais compétitifs à l’exportation.

Marginaliser l’oligarchie

Deogratias Niyonkuru ne néglige aucun aspect pour que réussisse cette révolution agraire du continent africain. C’est ainsi qu’il développe la recherche de systèmes innovants de financement, et l’étude d’une meilleure répartition des revenus de l’activité agricole. Mais n’allez pas croire qu’il se focalise sur l’agriculture comme seule issue. « L’amélioration de la production agricole évite aux gens de sombrer dans la paupérisation, mais la croissance passerait par le développement d’activités non agricoles. » Certaines régions regorgent de jeunes entrepreneurs très agressifs, qui « contrôlent le commerce et progressivement la richesse nationale, en dehors de la nomenklatura qui s’est enrichie dans le secteur tertiaire ». Ce à quoi appelle Niyonkuru, c’est une véritable révolution populaire contre un système qui nourrit l’oligarchie aux dépens de l’immense majorité des habitants.

L’auteur ne s’en défend pas, bien au contraire : « La voie royale, à la fois simple et difficile, est de reprendre confiance en soi, de valoriser sa culture, son potentiel et les opportunités de son milieu et de refuser à l’argent le rôle moteur du développement. Assurons la primauté de la spiritualité et des valeurs humaines, refusons une civilisation fondée sur l’enrichissement effréné de quelques-uns et qui conduit à la dégradation irréversible des ressources naturelles, revendiquons des politiques publiques favorables au développement et à la paix, cessons de croire que c’est aux autres qu’incombe la responsabilité de nos misères et de notre salut, et engageons-nous résolument dans la transformation de notre vie avec ce message divin : "Lève-toi et marche." Lève-toi, Paysan d’Afrique ! » Compris ?

Bravo et merci à Deogratias Niyonkuru !

 
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[1] Editions GRIP, Bruxelles 2018, ISBN 978-2-87291-115-8. www.grip.org.

 

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