ONNUZEL - Le dernier roman de Thierry Robberecht -

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Par | Journaliste |
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Lecture 4 min.

« Elle nettoie, elle nettoie tout le temps, il y a trop de passé dans les coins. »
Voici la résonnance contextuelle de l’univers quotidien du jeune Onnuzel, 8 ans, qui vit avec sa mère et sa petite sœur dans le Molenbeek des Golden sixties. Sauf que les Golden sixties ne le sont pas pour tout le monde.

Un père absent donc, mais si l’on peut dire omniprésent par son absence même.
Et l’on comprend d’emblée que le poids de cette absence est engendré par  la douleur que la mère affiche chaque jour.

Une disparition non expliquée et omniprésente pour un enfant omnuzel qui, lui, tente de savoir et de comprendre sans en avoir le premier outil. Alors il observe, scrute, fouille et se réfugie quand il faut, par exemple en forêt, le seul repère intime sûr… les pieds de la grande table de la salle à manger.

« L’onnuzel ignore tout, ne comprend rien, mais il est obstiné et cherche fébrilement ce qu’on lui cache. » Intelligence donc et imaginaire puissant…

ONNUZEL ! C’est si étrange de voir écrit en lettres blanches sur la couverture d’un livre ce mot que l’on n’a connu que sonore et intempestif.
Cette invective typiquement bruxelloise,  que l’on prononce en avançant les lèvres en tuyau de poêle, avec une dose de dédain dans la moue, afin d’expulser ce plein-la-bouche, ce vocable rond, cette ignominie péremptoire donc, vient du flamand ONOZELAAR, devenu en bruxellois des Marolles 0(M)NUZELEIR, c’est à dire imbécile.

Sauf que l’imbécile n’est pas toujours celui que l’on pense !

Thierry Robberecht fait ici le portrait d’un « temps de l’enfance » durant lequel un jeune garçon s’arrange comme il peut avec ses frayeurs, avec les silences des adultes, avec leurs sentences sur ce qu’il convient de faire pour vivre comme quelqu’un de bien.

A l’époque de Baudouin et Fabiola, où  les coloniaux rentraient en masse du Congo et où régnaient des grands-parents bons et généreux, parce qu’un peu plus à l’aise, plus conformistes aussi, et qui restaient les exemples à suivre mais qu’hélas on ne sût écouter pour éviter un mauvais mariage.

Pas de tragédie dans ce triste paysage, mais la justesse d’une peinture de société et d’une époque dans laquelle se forme tant bien que mal une sensibilité qui finit par passer à travers ces conformismes pathétiques, pour entamer une vie transportée par la puissance de l’imaginaire. Et l’on s’étonne de la nature même des perceptions de l’enfant face au monde, qu’il découvre dans toutes ses infernales machinations et qui font de sa mère tant aimée une autre enfant perdue, s’obligeant à répondre chaque matin à cette seule vérité qui vaille : il faut paraître pour être.

La force du livre est aussi dans cette puissance que l’on perd toujours, l’enfance s’en allant, et qui permettait des mondes où tant de désirs pouvaient s’accomplir. Comme celui, par exemple, de croiser pour la première fois un père.
On ne saura pas le prénom de l’onnuzel, comme on ne verra jamais son visage d’homme, dans lequel on aurait pu lire, comme le suggérait R.M. Rilke, « le destin d’une enfance. »

Si ce court roman, trop court peut-être, nous bouleverse, ce n’est pas tant par ce qui nous est conté, que par l’indicible qui flotte tout au long du récit et qui nous fait sentir le pouvoir salvateur d’être, pour un temps, en marge.

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Boris Almayer


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