Rien que des mots?

L'as-tu lu,lulu?

Par | Journaliste |
le

Un exercice salutaire de décongestion cérébrale!

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Qu’elles sont agréables nos conversations au coin du feu ou au bar… Jusqu’au moment où l’on parle tout en ne se comprenant pas ou plus. Des mots surgissent, dont le sens est déformé par l’actualité, par un mauvais enseignement, par l’oubli de leur signification ancienne, par des voyageurs qui trimballent d’autres références, d’autres cultures et donc d’autres significations.

Il y aussi les mots sciemment détournés et connotés à des fins de propagande, histoire d’embuer nos cerveaux et de museler un éventuel esprit critique surnageant au matraquage publicitaire ou médiatique qui véhicule la pensée molle et conformiste voulue par ceux qui ne veulent pas de contestation de l’ordre établi.

Alors, pour titiller vos cerveaux pendant ces fêtes de fin d’année, pendant vos bavardages récapitulatifs des événements de l’année écoulée, voici deux livres stimulants : « Des mots qui puent », d’Olivier Starquit et « Zeitgeist. Vocabulaire des anti-Lumières » d’Erik Rydberg.

Le syndicaliste et philologue Olivier Starquit traque depuis des années ces « mots qui puent » parce qu’ils sont détournés de leur sens dans le but d’orienter la pensée et d’imposer une vision du monde qui n’est pas celle, humaniste, de la lutte sociale et solidaire. Ainsi, « la grogne », la « prise d’otage » visent à disqualifier tout mouvement de grève et à associer le public à la réprobation voulue par les patrons et dans de nombreux cas par les pouvoirs publics eux-mêmes. Pire encore, les grèves sont dites « sauvages » lorsqu’elles ne se font pas dans les normes, empêchant de réfléchir sur le pourquoi de ces mouvements que l’on classe volontiers de « hooliganisme », et sur la détresse de ces personnes qualifiées hâtivement de « casseurs », les assimilant ainsi aux véritables casseurs, sans autre motivation que le vol et la destruction.

On se régale avec l’usage du mot « idéologie » ravalé au rang de prise de position partisane ou démagogique ou encore anti-pragmatique ou idéaliste. Alors, le débat devient impossible. Toute alternative est balayée. Ce qui est résumé par la formule célèbre de « Tina » (there is no alternative), ou le comble de la manipulation des opinions publiques puisqu’on lui assène qu’il n’y a pas d’autre choix que le capitalisme de marché mondialisé. Hors cela, il n’y a point de salut et point d’avenir. Heureusement, la révolte des mouvements sociaux et citoyens un peu partout dans le monde démontre l’échec de ce Tina liberticide.

« Donc, les mots deviennent puants selon l’usage qu’on en fait », explique Olivier Starquit. « Nous voyons la vie politique à travers le prisme d’un vocabulaire qui crée le réel. Si on emploie les mots de l’adversaire, on est déjà battu ! Ces mots puants visent la fin de la politique car ils nous font partager une même vision de la société, un même projet. Tout un corpus sémantique est utilisé pour euphémiser, édulcorer la réalité. Exemples : on « optimise les ressources », on « fluidifie l’entreprise » pour parler de la mise à l’écart des travailleurs.

L’esprit du temps obscur

Le journaliste Erik Rydberg dénonce depuis longtemps ce détournement du sens des mots afin de soumettre le plus grand nombre. Un péril terrible décrit par Mateo Alaluf dans la préface de ce petit livre car lorsque le pouvoir veut faire dire aux mots ce qu’il décide, nous entrons dans l’ère de la vérité alternative où le mensonge devient vérité. L’auteur va plus loin : il dénonce aussi les « mots sous-marins » « par lesquels les partis de gauche épousent la pensée de la droite », explique Mateo Alaluf, une sorte de « colonisation de nous-mêmes » que l’auteur bouscule avec humour et impertinence.

Erik Rydberg nous invite ainsi à un exercice difficile car il nécessite le temps de la réflexion : comment est faite notre structure de pensée ? Quelle est la signification des mots que l’on nous a enseignés ? Et que veulent-ils dire dans la bouche des femmes et hommes politiques au pouvoir ? Qui parle au travers des articles de presse, des émissions télévisées, du grand brouhaha d’internet ? Parmi les mots sous-marins, il signale le désormais célèbre « vision » imposé par le monde du business et, en effet, mis à toutes les sauces des discours les plus variés, en lieu et place de « conception du monde » voire même d’« objectif ».  

Erik Rydberg nous parle des métaphores, des synecdoques et autres antonomases, des hyperboles et des injures qui parsèment les écrits et discours dont nous sommes abreuvés par les médias de masse. Il nous décortique la tournure passive, l’impératif invisible, l’antiphrase à la mode et autres subtilités linguistiques visant à nous faire rendre des vessies pour des lanternes.

 « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », disait Albert Camus.  Avec ces livres, nous bénéficions d’un traitement jouissif et salutaire pour réveiller nos neurones et, peut-être, participer au bonheur de notre société.

Olivier Starquit. « Des mots qui puent ». 2018. Editions du Cerisier.

Erik Rydberg. « Zeitgeist. Vocabulaire des anti-Lumières ». 2019. Ed. LitPol. www.erikrydberg.net/litpol

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Mateo Alaluf. « Dictionnaire du prêt-à-penser ». 2000. Editions Vie Ouvrière.

Rappel : En 2007 paraissait « Les nouveaux mots du pouvoir », « Abécédaire critique » sous la direction de Pascal Durant, éd. Aden. Il n’a pas vieilli ! On vous le conseille donc à côté des trois autres, mentionnés ci-dessus.

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