Ils auraient préféré ne pas recevoir le prix Henri La Fontaine

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
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Mehdi Kassou et Adriana Costa Santos à la tribune du Sénat. Reportage photographique © Jean-Frédéric Hanssens

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C’est sur ce thème qu’Adriana Costa Santos et son compagnon Mehdi Kassou ont pris la parole en recevant le Prix Henri La Fontaine ce 19 octobre au Senat. Cette année, le jury était présidé par Mokhtar Trifi, président de la Fédération des Ligues des droits de l’homme en Tunisie et vice-président de l’Organisation mondiale contre la torture il est aussi membre du Quartet Tunisien qui s’est vu attribuer le prix Nobel de la Paix en 2015.

Un prix Nobel se fâche
Dans son discours, « ce pestiféré » de Ben Ali, fervent défenseur des droits humains, ne mâchera pas ses mots. Il félicite les lauréats, animateurs de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Il dit son admiration pour cette association spontanée qui rassemble plus de 7000 familles d’hébergeurs qui ne craignent pas d’être punis par la loi. En donnant ce prix, dit-il, nous rendons hommage à ces familles pour qui la dignité humaine est inviolable. Mais Mokhtar Trifi profite de la tribune qui lui est offerte pour fustiger l’Europe et ses gouvernements nationaux. Lui qui vient d’un « pays exportateur d’émigrés », se révolte. D’abord parce que le nombre d’émigrés diminue drastiquement. Selon Frontex, il a baissé de 60 % en 2017 par rapport à 2016. Par contre, le nombre de morts augmente notamment dans le couloir de la mort qu’est devenu le canal de Sicile entre la Tunisie et l’Italie. Et ça, c’est indigne, nous dit-il. Pourquoi partent-ils ? Pour fuir la guerre, la misère ou les génocidaires, mais les pays européens ne sont-ils pas en partie responsables de ces causes ? Le libre-échange entre nos pays n’est pas équitable, précise-t-il. Le problème de l’émigration devient une arme de négociation dans le financement de l’aide au développement. Qu’un pays veuille mettre un terme à son aide au développement, soit. Qu’il en fasse un moyen de chantage pour que les pays d’Afrique du Nord deviennent des gardes-frontières de l’Europe, c’est inacceptable. Il y a, aujourd’hui, entre nos pays, la libre-circulation des marchandises, mais pas des personnes. L’Allemagne et les pays du Golf viennent happer des universitaires dans nos pays parce qu’ils en ont besoin. L’Allemagne vient en Tunisie former des médecins à la langue allemande pour pouvoir les importer chez eux. Ceux-là sont bienvenus en Europe. Les autres devraient être parqués en attendant d’être riches et formés. C’est l’hôpital qui se moque de la charité. Il faut une négociation globale entre l’Europe et les pays exportateurs au nom du respect et de la dignité. Deux valeurs qui sont les moteurs de la plateforme citoyenne.

« J’aurais préféré ne jamais recevoir ce prix », assène Adriana quand elle prend la parole avec Mehdi Kassou. « J’aurais préféré ne pas être ici parce que la raison d’être de notre plateforme est inacceptable ». Aujourd’hui, ils fédèrent 42 000 volontaires et ils ont distribué 400 000 repas et 200 000 nuitées. Du côté du gouvernement, elle ne voit qu’un chiffre : 0, nul, rien. Ce gouvernement, rappelle-t-elle, nous ramène 10 ans en arrière, car entre 2004 et 2008 plus de 2000 enfants ont été détenus avec leurs parents dans des centres fermés. En 2008, cette pratique a cessé suite à trois condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, dix ans plus tard, après avoir placé quelques trompe l’œil et autres toboggans près d’une piste d’atterrissage, Monsieur Francken pense avoir fait le nécessaire pour garantir que cette détention d’enfants se passe dans des conditions plus acceptables. Adriana Costa Santos espère, elle, que Monsieur Francken et tous ceux qui abondent dans son sens seront enfin à nouveau condamnés. Ce que dictent la raison et le cœur doit être respecté : ON N’ENFERME PAS DES ENFANTS !

Leur plateforme n’est que la conséquence de la politique indigne du gouvernement. Depuis trop longtemps des évidences sont répétées, depuis trop longtemps des décisions inhumaines sont appliquées. Mais comme une autruche, ils gardent la tête dans le sable. Soit, quand ils la sortiront, ils sauront où nous trouver parce que la fourmilière solidaire et humaniste se sera encore étendue. Nous sommes nés de l’urgence. L’urgence d’un sursaut citoyen, solidaire et humain. L’urgence de démontrer qu’au-delà des faits, des chiffres et de la raison ce sont les émotions qui font bouger les gens, qui les font se lever d’indignation. Ils étaient peu, ils sont aujourd’hui 42000. Et nos deux lauréats les remercient tous de même que les centaines de réfugiés qu’ils ont aidés et qui les ont épatés par leur courage, leur endurance, leur résilience et leur confiance dans un monde meilleur. Elle remercie aussi la présidente du Sénat, madame Christine Defraigne pour avoir été la première à s’opposer aux visites domiciliaires.

Une preuve vivante qu'il y a moyen de résister au discours de la haine
Adriana, Mehdi et les autres sont la preuve vivante et de plus en plus inébranlable que si le discours émotionnel de la haine, touche et mobilise par la peur, il y a un discours émotionnel de l’indignation dans l’action qui peut lui faire barrage. C’est un fait qu’ils démontrent au quotidien. Merci. Que feront-ils des 10 000 euros qu’ils ont reçus ? Ils les remettront à la Porte d’Ulysse. La distribution des repas y coûte 1000 euros par jour. Alors, si vous aussi vous avez envie de contribuer, voici le numéro de compte : BE04 5230 8077 7231 au nom de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Merci pour eux. 

Quant au disours de la haine, il y a encore la presse pour le combattre. C'est en tout cas ce que déclarait Marc De Haan le même jour au même endroit au sein de la même fondation lors du débat sur la liberté d'expression si chère à Henri La Fontaine. Il disait que "le journaliste est l'ennemi professionnel de l'extrême droite comme le cancérologue est l'ennemi professionnel de la cigarette". Mais je reviendrai sur ce débat dans un autre papier.

Patrick Willemarck


Mokhtar Trifi à la tribune du Sénat.


Une standing ovation après le discours d'Adriana Costa Santos.

La remise du prix par Mokhtar Trifi à Mehdi Kassou et Adriana Costa Santos.

Le président Daniel Sotiaux, Adriana Costa Santos, Mokhtar Trifi et  Mehdi Kassou

Une reconnaissance qui mérite un "V"

La poignée de main entre Mokhtar Trifi et Mehdi Kassou. Tout un symbole.

Un extrait du discours d'Adriana Costa Santos où elle remercie notre gouvernement de ne rien faire sinon nous propulser 10 ans en arrière.
 

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Les conclusions très fortes et émouvantes de Adriana Costa Santos et de son compagnon Mehdi Kassou de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés
 

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