L’humanité vous intéresse ? Il y a un restaurant où elle progresse.

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
le

capture d'écran prises sur le site de 65degrés.be

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Lecture 6 min.

Dix personnes travaillent dans ce nouveau restaurant gastronomique de l’avenue Louise. Sept sont affectées de déficiences mentales. Si vous voulez une place, il faut réserver. Le restaurant n’ouvre encore que le midi et en semaine mais il est complet tous les jours. Certains y vont parce qu’ils sont proches des parents d’une des personnes handicapées qui y travaillent. D’autres y vont par sympathie voire par conviction pour le projet. D’autres y sont invités par surprise pour découvrir un autre aspect du handicap. D’autres y vont par charité, générosité ou solidarité. D’autres,  y vont comme on va au zoo, pour voir. D’autres y vont parce que c’est nouveau et qu’une agence de RP les y attire comme tous les autres « néopathes ». Pour ces derniers, si c’est nouveau c’est bon, après on passe (oui, oui, ils existent, je vous jure). Et d’autres, enfin, n’y vont pas parce qu’une bonne bouffe et une bonne action à, leurs yeux, c’est le monopole des restos du cœur où ils ne vont jamais manger, plus que probablement.
Quelles que soient les motivations des gens, ceux qui se laissent aller à franchir la porte en sortent probablement un peu différents. Je n’ai été que deux fois avec deux professionnels de l’accompagnement à l’emploi qui totalisent plus de 60 ans d’expérience à Bruxelles et accompagnent plus de 160 personnes handicapées par an. Ce qui s’y passe est transformateur. Mes convives sont admiratifs.
Le premier transformé est sans doute le manager qui a franchi cette porte pour postuler au poste. Un manager qui a toutes les charges du gestionnaire de restaurant et qui, s’il s’y connaît en la matière, ne connaissait rien au monde du handicap. Aujourd’hui il dirige cette équipe. Quelqu’un m’a dit que les 4 ou 5 personnes handicapées de service en salle qui évoluent autour de lui sont comme des esquifs sur un océan dont Massimo Pellegrino, le manager, serait le phare. Et cette image est effectivement assez belle. Ils ont tous un regard souriant pour le client mais ils cherchent toujours le regard du guide parce que si océan il y a, c’est un océan de normalité dans lequel ils sont plongés pour la première fois. Et si un courant les dévie, Massimo Pellegrino, le manager, leur permet de reprendre le cap sans sombrer dans la culpabilité, le sentiment d’incompétence, l’échec, ou l’anormalité.
La deuxième transformation se fait dans la salle, parmi les clients du lieu. Qu’ils soient attablés à deux ou 4 ou plus, ils ne peuvent échapper au sourire et au rayonnement de chacun de ces serveurs handicapés qui font admirablement leur travail avec, parfois, une petite erreur. Une petite erreur qui arrive à toute personne qui sert dans l’horeca. La petite goutte de vin qui tombe sur la table, le beurre ou le sel qui manque, la commande mal comprise, peu importe. Cela arrive partout, ici aussi, ils ne font pas exception. L’erreur est humaine, eux aussi. Mais le public se prend aussi à regarder la salle plus que leurs convives et leurs GSM. Séduits par ce service atypique, ils se mettent à l’observer comme s’ils n’en revenaient pas de l’adresse de ces humains différents et vulnérables; comme si, pour d’autres, ils redécouvraient que le service dans l’horeca n’est jamais fait que par des humains qui sont tous aussi uniques et vulnérables que le fameux « client-roi » que l’argent rend tellement arrogant, distant et inconscient de sa propre vulnérabilité.
Ce restaurant et les serveurs qui y officient sont des révélateurs de l’humanité que nous avons en nous et il permet de la faire progresser chez certains: chez moi, chez le manager, chez mes convives, chez ceux que j’y invite par surprise, chez ceux qui sortent séduits et bouleversés, chez ceux qui, tout d’un coup, revoient les métiers de l’horeca autrement. Un métier d’humains au service de l’humain et des plaisirs de la convivialité. Il faut peu de chose pour que l’horeca devienne le lieu de rencontre privilégié de belles personnes. Une personne handicapée suffit. Imaginez ce que ça peut faire dans d’autres entreprises. Aux USA, il y a un distributeur dont 40% des employés sont handicapés. Partout où il ouvre, il finit par dominer la concurrence. Parce que le commerce, c’est avant tout l’envie d’échanger. On parlait, il y a quelques siècles, de gens qui étaient d’un commerce agréable. L’expression désignait ceux avec qui on aimait être et échanger. Allez au 65°, vous découvrirez à quoi ça tient, le commerce agréable. Ca ne s’apprend pas dans les écoles de commerce, hélas.
65° est le nom de ce restaurant et de l’ASBL qui l’a lancé. Le nom fait référence à la température idéale de l’œuf. Ils sont situés avenue Louise pour se faire voir, ils servent une cuisine fraîche et gastronomique. Une petite carte qui change tous les week-ends. Les fondateurs de ce projet, entendent démontrer que le handicap et l’emploi ne sont pas incompatibles. Ils ont raison, l’émancipation de la personne handicapée passe par l’emploi mais, en région bruxelloise, hélas, 90% des investissements des budgets publics dédiés à ce groupe cible vont encore à la protection et seulement 10% à l’accompagnement vers l’émancipation. La France progresse beaucoup dans ce domaine mais le handicap n’y dépend que d’un secrétaire d’état alors qu’il y en a 13 dans notre petit pays.
Leur pari est-il gagnant ? Pour changer les mentalités, oui. Pour construire un « business case » utile aux autres pme, oui. Pour émanciper leur personnel handicapé, il faudra s’assurer de pouvoir jouer avec les cartes de la personne handicapée qui veut s’émanciper et progressivement un peu moins avec celles des parents.

Il y a du boulot, soutenez-les et rendez-vous sur leur site. Ils ont aussi besoin de dons. https://www.65degres.be

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