Mieux vaut un bon menteur qu'un baratineur

Humeurs d'un alterpubliciste

Par | Penseur libre |
le
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Henry Franfurt, en 1985, écrivait "l’art de dire des conneries". C’était bien avant que les algorithmes de Google et Facebook ne trient l’information pour nous. Pour lui, le menteur connaît la vérité et il en tient compte sinon son mensonge ne tiendrait pas la route. En quelque sorte, il la respecte, il sait qu’elle existe. Le baratineur s’en fout. Il n’accorde aucune attention à la vérité. Et c’est pour ça que c’est un bien plus grand ennemi de la vérité que le menteur.

En l’état actuel de la transmission de l’info, les baratineurs vivent leur âge d’or. Parce que dans les années 80 naissait également internet et aujourd’hui, trente ans plus tard tout est communication. La politique est affaire de com. L’économie est affaire de com. Les affaires sont affaires de com (la bourse et les coaches en témoignent). Les émotions sont affaires de com (les thérapies de famille ou de couple en témoignent) et le terrorisme est avant tout une affaire de com aussi. Et si si tout est égal à la communication alors, tout est égal à tout et il ne faut pas s’étonner de l’impact de la vie sentimentale d’un président de la République sur sa carrière politique ni de l’interview politique qui s’immisce dans l’émission de divertissement ou du divertissement qui s’immisce dans l’émission politique, ni qu’un vendeur d’immobilier devienne président.

Tout est communication signifie ausi que tout finit par être n'importe quoi. Les plus riches même s’ils ne sont qu’un pour cent ne sont plus les plus forts. Ce sont les plus visibles, aujourd’hui, qui sont les plus forts. Apple, Daech, De Wever, Trump… l’ont compris. C’est le lot de l’économie de l’attention. Dans la bataille électorale qui a conduit à la victoire de Trump, ses paroles, dans les états républicains, ont été 12 fois plus commentées sur les réseaux sociaux que ceux de Clinton et deux fois plus dans les états démocrates. Le plus visible gagne, il y a 7 milliards de comptes facebook individuels dans le monde. Et s’il y a bien un baratineur, c’est Trump. Pourquoi? Jeet Heer, rédacteur en chef du magazine "The New Republic" a son idée, inspirée de Frankfurt: "Le baratin devient inévitable quand les circonstances forcent un individu à s'exprimer sur un sujet qu'il ne connaît pas." Quand les occasions de s'exprimer sur un sujet l'emportent sur la connaissance de ce même sujet. Et c'est ce que les réseaux offrent; de multiples occasions de s'exprimer. Et les politiques y sont même de plus en plus sollicités.

Nous subissons tous une forme d'envoûtementqui vient plus de la technologie que d'un manque soudain de vertu. Il n'y en a ni plus ni moins de vertueux qu'avant. Mais l'accès à la connaissance est plus complexe qu'avant.Face à nos écrans, nous valorisons ce que nous voyons en cliquant dessus et comme on a bien aimé cela, on va nous resservir de l’info du même acabit. Plus je valorise ce que je vois plus je suis valorisé par ce que je vois. L’herméneutique de la connaissance caresse mon nombril dans un cercle vicieux tellement flatteur que personne ne s’oppose, personne ne résiste. Nous nous bousculons sur les mêmes sites, les mêmes plateformes et les mêmes contenus pour autant que nous partagions les mêmes valeurs. Ceux qui aiment Trump et ceux qui le détestent, ceux qui admirent Daesh et ceux qui les combattent. Chacun de son côté. Et c’est le piège pour nos démocraties.

Cette économie de l’attention fait qu’il faut d’abord gagner l’attention et puis convaincre. Et l’attention se gagne avec peu de mots et beaucoup d’ émotions. Et comme on nous donne à voir celles qui nous émeuvent le plus, personne ne se plaint. Internet nous donne les conclusions qui vont dans le sens de ce que nous croyons. Comme notre confort prime, nous devenons des abrutis cognitifs perdu dans une démocratie où croire et désir ne font plus qu’un. Les deux marginalisent la connaissance. Le baratineur gagne. Nous entrons dans la démagogie cognitive. Il faudra beaucoup d'éthique et de pédagogie pour y remédier. Quant aux médias, ils ont deux possibilités pour survivre: rester des médias de masse implique l’acceptation de l’économie de l’attention. Sinon, la masse fout le camp. L'autre alternative est l’économie de la souscription, comme dans Mediapart. Ou comme "Entre les lignes" qui devra passer par la souscription pour survivre, ce n'est pas un mensonge.

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